Quand journalistes et influenceurs réinventent les règles du jeu médiatique

Jusqu’ici, il y a toujours eu une frontière claire entre deux univers : celui du journaliste, gardien d’une information rigoureuse et objective, et celui de l’influenceur, créateur de contenu au service de sa communauté et maître de l’instantanéité. Mais avec l’explosion des comptes Instagram comme celui de Sally qui se définie comme une « journaliste 2.0 » ou encore les interviews d’EnjoyPhoenix auprès du casting de la série House of the Dragon, cette ligne de démarcation est aujourd’hui floue. Il devient difficile de savoir où s’arrête l’un et où commence l’autre. Cette évolution, qui chamboule aussi l’activité des relations presse, reflète une transformation fondamentale du paysage médiatique. Faut-il s’en inquiéter ou, au contraire, y voir une opportunité ?
Quand les influenceurs deviennent journalistes : un défi pour les médias traditionnels
Prenons le cas de Paola Locatelli, influenceuse invitée aux NRJ Music Awards en 2024 pour couvrir l’événement comme journaliste-animatrice. Ce choix en a surpris plus d’uns, mais il s’inscrit dans une tendance de fond. Aujourd’hui, les influenceurs se voient confier des rôles historiquement réservés aux professionnels de l’information. Pourquoi ? Parce qu’ils incarnent une authenticité qui séduit un public lassé par la solennité des médias classiques et parce qu’ils ont le potentiel d’augmenter drastiquement les audiences des médias grâce à leur communauté engagée.
Si les influenceurs apportent fraîcheur et proximité, leur approche plus subjective peut donner l’impression d’écorner les standards journalistiques surtout lorsqu’elle passe par le filtre des likes et des tendances.
Des journalistes au service des influenceurs : l’hybridation en marche
L’inverse est tout aussi saisissant. Comment ne pas évoquer Seb La Frite et ses vidéos traitées avec le sérieux d’une enquête journalistique ? Ici, des journalistes – très souvent des pigistes - collaborent directement avec les créateurs de contenu, leur apportant une rigueur qui transcende le simple divertissement. Le résultat : une hybridation captivante où le sérieux journalistique se conjugue à la spontanéité d’un format digital.
Cette tendance interroge sur l’avenir des relations presse. Si les influenceurs sont capables d’offrir des contenus journalistiques de qualité avec l’aide de professionnels, les attachés de presse devront revoir leurs copies pour composer avec ces nouveaux acteurs hybrides.
Par ailleurs, ce phénomène met également en lumière une réalité préoccupante : la précarité des pigistes dans le journalisme traditionnel. Ces collaborations avec des influenceurs, souvent mieux rémunérées et plus flexibles, deviennent pour beaucoup une manière de compléter leurs revenus. Ce basculement ne traduit pas un désintérêt pour le journalisme, mais plutôt une adaptation nécessaire à un environnement en pleine mutation de fond et de forme.
Quand les journalistes deviennent influenceurs : une révolution des codes
Parallèlement aux influenceurs qui se font une place dans le monde journalistique et aux journalistes pigistes qui collaborent directement avec les influenceurs, une nouvelle génération de journalistes choisit de devenir leur propre média. L’exemple d’Elise Lucet est emblématique. Après des années passées dans les couloirs feutrés de France Télévisions, la voilà sur YouTube, directement connectée à son audience grâce à son nouveau format DERUSH. Dans un registre similaire, l’ancienne présentatrice Claire Chazal, s’est-elle aussi lancée sur YouTube en proposant des entretiens sur des sujets culturels avec des personnalités françaises.
Quelque part, Elise Lucet et Claire Chazal incarnent ce mouvement où le journaliste s’affranchit des codes des médias dits « traditionnels », et devient lui aussi un média, avec ses propres valeurs et son propre style.
Décloisonnement : opportunité ou menace
S’il représente un nouveau défi à appréhender, ce décloisonnement entre journalistes et influenceurs peut en réalité s’avérer être une réelle opportunité à saisir. Ce changement de paradigme reflète une époque où l’information se consomme autrement, où l’immédiateté et la personnalisation priment.
Pour les relations presse, cela signifie s’adapter. Créer un lien durable avec une chaîne YouTube tenue par une journaliste n’a rien à voir avec échanger avec une rédaction classique. Les codes ne sont plus les mêmes, et les attentes non plus. Pour les attachés de presse, ce modèle plus direct implique d’adapter leurs discours et leurs approches.
Mais cela implique aussi de préserver une certaine vigilance. Si les influenceurs-journalistes ou journalistes-influenceurs sont porteurs d’innovation, ils ne doivent pas diluer les fondamentaux de l’information.
Et demain ?
Finalement, il ne s’agit pas d’opposer ces deux mondes, mais de comprendre comment ils peuvent se compléter. Les influenceurs apportent une proximité et une spontanéité qui manquent parfois aux médias traditionnels. Les journalistes, eux, possèdent cette expertise et cette éthique indispensables à une information de qualité.
Ce qui est certain, c’est que les relations presse ne seront plus jamais les mêmes. La clé de cette mutation réside dans la capacité du secteur à embrasser la complexité de ce nouvel écosystème, tout en respectant les principes d’une communication responsable, transparente et authentique.
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