Prospectus papier : les enseignes peuvent-elle réellement s’en passer ?
Branle-bas de combat dans les hautes sphères : le prospectus papier, qui malgré quelques levées de bouclier au fil de son existence a longtemps joui d’une impunité face à son mauvais bilan environnemental, est à nouveau au cœur des débats. Après le test du premier confinement, où l’arrêt de sa distribution a été demandé pour éviter la cohue en magasin, la communication promotionnelle du secteur de la grande distribution est à nouveau mise à l’épreuve. En plus de la loi anti-gaspillage dont la mise en œuvre a débuté en 2021, le Conseil des Ministres, sous l’impulsion de la Convention Citoyenne pour le Climat, vient de valider l’interdiction des prospectus pour les collectivités volontaires. Une décision contestée par la Fédération du Commerce Coopératif et Associé (FCA), avançant l’argument d’un contexte difficile pour le pouvoir d’achat des Français, qui ont plus que jamais besoin des promotions. Mais celles-ci ne peuvent-elles vraiment pas être diffusées autrement ?
Un outil socialement dépassé qui continue pourtant de séduire
Si l’éco-responsabilité, le local et le Made in France connaissent depuis déjà des années une montée en flèche dans les usages de consommation des Français, la crise sanitaire n’a fait que les confirmer. Plus que des tendances, le “mieux consommer” est issu d’une prise de conscience collective. Celles-ci, combinées à l’accélération notoire du digital en 2020, prennent en étau les grandes enseignes, qui s'attèlent à prouver aux consommateurs qu’elles ont compris le message.
Conséquence directe, pour la première fois, la publicité online passe devant le prospectus papier : 53% des Français souhaitent que les enseignes tendent vers de la promotion exclusivement digitale car celle-ci répond mieux à leurs besoins. On peut dire sans trop s’avancer, que ce sont les mêmes qui déclarent jeter systématiquement les prospectus papier sans même les lire (45%) [1]. En parallèle, les “stop pub” fleurissent sur les boîtes aux lettres (30% installés aujourd’hui [2]) : et qui tenterait tout de même de déposer de la publicité dans celles-ci peut encourir, depuis janvier 2021, jusqu’à 3000€ d’amende.
On pourrait donc rapidement jeter le prospectus papier dans les abysses de l’obsolescence. Et pourtant...
Si le papier est moins efficace pour les enseignes non-alimentaires, ce qui explique depuis des années la disparition progressive des catalogues, comme dernièrement celui d’IKEA, force est de constater qu’il l’est pour l’alimentaire. Le prospectus charme toujours un tiers des ménages [3], qui se base sur les offres proposées pour faire ses achats. 20% l’emmènent même avec eux pour faire les courses.
Que les enseignes soient prêtes ou non, 2021 marquera un tournant
Il est clair que si en 2015, plus de 20 milliards de prospectus ont été édités chaque année, et que les budgets marketing alloués à ce support de communication pour l’ensemble des enseignes de la grande distribution avoisinaient les 3 milliards d’euros, ce n’était pas pour le plaisir d’imprimer : beaucoup en tirent 10 à 15% de leurs chiffres d’affaires.
En tentant de devancer les réglementations, certains acteurs de la grande distribution mènent une stratégie hybride et gagnent fortement en expérience sur ce sujet pour construire pour l’avenir : qui trouvera le mix gagnant ? La course est déjà bien lancée.
Parmi les initiatives, on retrouve par exemple la mise en place de liseuses digitales optimisées, personnalisées, et riches en contenu. De plus en plus d’enseignes font également le choix de supprimer le papier pour les magasins de proximité et de compenser à 100% par des dispositifs digitaux, avec des publicités sur les plateformes Google, Facebook, Instagram, Waze, ou des bannières sur les sites visités par les internautes. Là où le papier s’avère moins percutant, on le retire des zones de distribution, permettant ainsi de réduire jusqu’à 60% le gaspillage. Mieux encore, certaines enseignes envoient des prospectus adressés personnellement, notamment aux seniors, fidèles et moins habitués au canal digital, quitte à payer le prix élevé que cela demande en termes de logistique. Elles développent aussi la signalétique in-store pour augmenter la visibilité des promotions, envoient des emails ou SMS aux clients connus et identifiés...
Malgré les efforts notables d’une communication de proximité, les 800 000 tonnes de papier [4] que représentent les prospectus sur une année restent indigestes pour le Ministère de la Transition Écologique et Solidaire. En parallèle de la loi anti-gaspillage, le Conseil des Ministres a validé le test sur 36 mois de la suppression des prospectus papier pour les collectivités volontaires. Barbara Pompili a par ailleurs lancé un ultimatum à l’ensemble du secteur de la publicité en janvier dernier : des propositions concrètes et ambitieuses d’ici mars, ou des sanctions. Si au 1er semestre 2020 le papier a enregistré une baisse de 41%, estimé à 30% sur l’année [5], 2021 ne devrait donc pas être en reste.
Le digital ne doit pas être le nouveau prospectus
Pourtant, des solutions existent. L’arrêt de la distribution du prospectus lors du premier confinement en a été le crash test : il a forcé les acteurs du secteur de la grande distribution à presser leur transformation numérique, et l’adoption d’outils promotionnels digitaux : display, social, search…
Après la fermeture des robinets d’investissement publicitaires au premier semestre, peut-être dû à un effet domino suite à la peur suscitée par le premier confinement, le secteur connaît un rebond de +13% au second semestre [6]. Le digital est agile, moins coûteux, et facilement réactivable. Un pari gagnant pour les annonceurs, dont la croissance a nettement accéléré : la transition, bien que brutale, s’est opérée brillamment. Les ventes de la grande distribution sur l’alimentaire ont bondi de 6,5% en 2020, comparé à 0,6% seulement en 2019 [7].
Mais on ne quitte pas un extrême pour en embrasser un autre.
Pour éviter de réitérer les erreurs du passé, le digital devra, lui aussi, se plier à quelques règles. Il devra être ciblé, dans le respect du RGPD et sans cookie-tiers. Précis, pour ne pas consommer plus d’énergie que nécessaire, ce qui serait contre-productif du point de vue environnemental. Local, pour répondre à la fois aux attentes des consommateurs, et des enseignes, pour une utilisation pleine et logique des budgets alloués. Enfin, et surtout, raisonné, pour ne pas risquer, lui aussi, une mise en demeure, ou pire, une mise au placard.
On en saura donc plus fin Mars… Affaire à suivre.
1 Baromètre Harris Interactive pour ARMIS, juin 2020
2 Bonial, 2020
3 Étude du cabinet Nielsen, 2020
4 Chiffre du Ministère de la Transition Écologique et Solidaire, 2015
5 Chiffres France Pub, 2020
6 Observatoire de l’ePub, 2021
7 Étude IRI, 2021
(Les tribunes publiées sont sous la responsabilité de leurs auteurs et n'engagent pas CB News).