Pourquoi le planning stratégique en France doit s’inspirer du modèle anglais

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Formée en communication stratégique en Angleterre et ayant passé quinze ans à Londres à travailler avec des planneurs stratégiques et directeurs de création de renom, j'ai pu observer à quel point le planning stratégique est un levier essentiel pour développer des idées créatives percutantes et des campagnes efficaces qui résonnent avec le public. Ce rôle est la clé pour aligner la création sur les objectifs commerciaux des marques.

De retour en France, j’ai constaté que le planning stratégique reste encore (trop) souvent l'apanage des agences de pub et qu’il est sous-exploité dans les agences de communication, en raison notamment d’une approche différente du métier. Ces différences, profondément ancrées dans les cultures professionnelles, révèlent des nuances notables entre le modèle anglo-saxon et l’approche française.

Une origine commune, mais des héritages distincts

Le planning stratégique à l'anglaise émerge dans les années 1960 chez BMP et JWT pour réintroduire les attentes des consommateurs dans le processus créatif. Le planneur stratégique y joue le rôle de défenseur du consommateur, plaçant les insights au cœur des campagnes publicitaires. Progressivement, cette fonction s’est étendue aux agences de relations publiques et de communication 360. Dans les agences anglaises, le planneur stratégique est un intermédiaire entre la recherche consommateurs et la création. Son rôle est de formuler des insights actionnables, basés sur des études quantitatives ou qualitatives, afin de maximiser l’impact commercial des campagnes. Cette approche repose sur le pragmatisme et les résultats mesurables.

En France, le planning stratégique apparaît plus tardivement, influencé par le modèle anglais dans les années 1980. Toutefois, la France, héritière d’une tradition intellectuelle et littéraire forte, a longtemps vu le planning stratégique à travers un prisme plus théorique. Ce biais cognitif a fait du planneur français un analyste des tendances culturelles qu’il tend à conceptualiser, cherchant à comprendre la société dans son ensemble, avant même d’étudier les données des consommateurs. Cette approche a parfois conduit à l'esthétisation excessive des idées, au détriment de l’efficacité mesurable. Priorisant souvent l’esthétisation des idées, le planneur stratégique est longtemps resté l'apanage des agences de pub.

L'impact des insights consommateurs sur la créativité et le ROI

Le modèle anglo-saxon s’appuie sur des insights consommateurs actionnables qui permettent de relier créativité et performance. Un exemple marquant est la campagne "Dirt is Good" de Persil/Omo (Unilever), qui repose sur l’idée que se salir fait partie de l’apprentissage des enfants. En changeant la perspective traditionnelle sur la propreté, la campagne a non seulement touché émotionnellement les parents, mais a aussi généré une augmentation des ventes, prouvant l’efficacité d’un insight bien ciblé.

La campagne "Share a Coke" de Coca-Cola est un autre exemple de la puissance de cette approche. Le remplacement du logo par des prénoms a créé une connexion immédiate avec les consommateurs et a boosté les ventes dans plusieurs marchés. Cela montre qu'un insight pertinent peut transformer une simple action créative en une campagne avec un impact commercial significatif. Ce pragmatisme axé sur le ROI est un atout que le planning stratégique français devrait adopter plus largement.

Les limites de la théorisation en France face aux enjeux business

En France, le planning stratégique est souvent perçu comme une fonction intellectuelle, axée sur la société et la culture. Bien que cela ait donné naissance à des campagnes originales, cette approche tend parfois à intellectualiser et esthétiser au détriment des objectifs commerciaux.

Prenons l’exemple de la campagne "La Force" de Canal+. Si elle a renforcé l’image créative de la marque, elle est moins efficace sur le plan des résultats commerciaux immédiats. De même, la campagne "Liberté, Égalité, Beaujolais" pour le Beaujolais Nouveau, malgré son attrait culturel, n'a pas eu d'impact significatif sur les ventes. Cela montre que l’accent mis sur la créativité conceptuelle peut détourner les campagnes des réalités business.

L'urgence d'une approche plus pragmatique et orientée ROI en France

Avec la montée des exigences en termes de justification des investissements publicitaires, les agences françaises doivent adopter un modèle plus pragmatique et centré sur les résultats. Cela inclut de lier les insights consommateurs aux objectifs commerciaux, comme l’illustre la campagne "Like a Girl" d’Always. Fondée sur un insight simple – la perception négative du terme "like a girl" – cette campagne a touché un public large tout en augmentant les parts de marché de la marque. C’est une parfaite illustration de la manière dont la créativité et le ROI peuvent coexister.

En France, la campagne "L’Amour, l’Amour" d'Intermarché montre que cette approche hybride commence à émerger. Basée sur des insights consommateurs réels, elle a su allier émotion et performance, tout en répondant directement aux objectifs commerciaux.

Vers un planning stratégique hybride, plus pragmatique

S'inspirer de l'approche anglaise permettrait aux professionnels français de mieux comprendre le rôle clé du planning stratégique. D’un côté, la fonction est encore sous-estimée par les agences de communication et RP, qui privilégient souvent une approche plus tactique. D’un autre côté, les planneurs continuent à privilégier les agences de pub qui valorisent l’esthétisation des idées. Pourtant le planning stratégique peut être un véritable levier de succès commercial. Adopter le pragmatisme anglo-saxon permettrait de mieux intégrer le planning stratégique dans les agences 360° pour maximiser l’efficacité des campagnes et atteindre les objectifs commerciaux des clients.

(Les tribunes publiées sont sous la responsabilité de leurs auteurs et n'engagent pas CB News).

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