La Covid-19 a-t-elle fait du bien-être le nouvel eldorado des marques ?

madafi

Faire un inventaire à la Prévert des bouleversements dus à la pandémie dans laquelle nous avons été plongés depuis plus d’un an serait une affaire sans fin. Pour autant, au-delà des séquelles économiques, sociales, comportementales déjà observables, la troisième vague qui nous guette aujourd’hui semble directement liée aux conséquences sur nos santés mentales. D’après une étude du cabinet RH Intelligence menée en 2020, 75% des salariés français faisaient état des effets négatifs de la pandémie sur leur bien-être intérieur. La consommation d’anxiolytiques, monitorée par le groupement d’intérêt scientifique Epi-phare, marque quant à elle une très forte progression, avec +1,1 million de traitements délivrés en six mois par rapport aux projections attendues. Si ce paradigme impose une réflexion de l’ordre de la santé publique, il mûrit par ailleurs la transformation des marques pour répondre aux nouveaux besoins exprimés par les consommateurs. Il fait par ailleurs émerger un théorème désormais irrévocable : les grandes évolutions sociétales, et les crises majeures qui souvent les précèdent, forment invariablement les nouveaux modèles et orientations des marques, au niveau même de l’offre qu’elles formulent. 

Un premier préalable : dépasser l’ère de la commodité pour donner du sens

En période de “vache grasse”, la question posée aux marques revient à proposer le meilleur service au meilleur prix, face à une demande captive et prête à leur confier leur pouvoir d’achat. C’est l’avenant des marques utilitaires : vous voulez du lait, vous avez du lait. L’effort marketing est ici sommaire, car la volonté intrinsèque et de délivrer un service ou un bien face à un besoin primaire. C’est ce que nous avons connu en grande partie jusqu’à la crise de 2008, qui est venue modifier l’échiquier. Les moyens des consommateurs s’amenuisent, et se concentrent. La notion de fidélité de marque devient la norme qui doit guider les interactions entre les marques et leurs audiences. La concurrence, elle aussi, se concentre et les entreprises se réinventent dans leur proposition pour séduire leurs publics. En 2015, Havas Media publie l’étude Meaningful Brands qui marque une transition en termes d’état d’esprit des consommateurs. Les marques ont désormais pour objectif d’apporter du bien-être aux citoyens, même s’il ne s'agit pas de leur cœur de métier. Ainsi, les Groupes Samsung, Lu ou encore Décathlon se voient distingués alors même que leurs offres principales n’intègrent pas directement des mesures ou des gammes liées au bonheur des communautés, des consommateurs ou des sociétés. 2020, première année labellisée COVID-19 vient une nouvelle fois bouleverser la donne. La première ligne se met en ordre de marche pour offrir un rempart à la maladie. Les marques se doivent ici d’être utiles, pour exister. Des nouveaux arrivants profitent alors d’une ascension fulgurante car ils viennent en aide à une société en souffrance : on pensera, pêle-mêle, aux services de messagerie à distance, aux plateformes servicielles et aux offres logicielles qui auront facilité l’interaction entre humains, la prise de rendez-vous ou encore le fait de se procurer le nécessaire que l’on soit particulier ou entreprise. Le sens devient ici un mot à plusieurs lectures : il donne de la consistance aux services proposés, une direction, un cap à tenir, et il apporte un palliatif à une société privée de ses sens.

Le bien-être :  un souffleur en coulisses qui s’exprime désormais sur le devant de la scène

Avant les années ‘10 et ‘20, le bien-être restait l’apanage d’une élite parfois perçue comme bohème, spirituelle. Un poil baba-cool. Les élans venus des Etats-Unis et de la ville du wellness Los Angeles ont peu à peu changé la perception de ce qu’est le bien-être, pour un retour en grâce d’un mode de vie sain. L’ouverture de nombreux studios de yoga, la montée en puissance des offres de complémentation alimentaire, des apps de méditation ou bien le succès de Goop, la marque de Gwyneth Paltrow mettent le curseur sur un changement perceptible de comportement des consommateurs. Le diable se loge aussi dans les détails : des marques, au titre de Sézane, Meetic, Gisou viennent insuffler un vent de feel good dans leur manière de se raconter. Les acheteurs veulent consommer vrai, authentique. C’est aussi une forme de bien-être, car ces acteurs viennent inspirer, créer une communauté de valeurs auxquelles les cibles adhèrent. 2021 s’annonce comme l’année des marques liées au wellness. Les chiffres partagés chaque jour sur la détresse des étudiants, des salariés, des personnes isolées sont sans appel : on assiste à une déprime - au bas mot - à l’échelle macro.

Dr. Wellness & Mister Pression Sociale, la somme des facettes du bien-être moderne

Elle semble également prendre son ancrage en dehors de la pandémie : la comparaison que stimulent les réseaux sociaux, la surabondance des informations, les crises existentielles personnelles des nouvelles générations sont autant de signaux faibles quant à la santé mentale de nos concitoyens. Un terrain profitable à cette méta-tendance holistique : ce tropisme permet de s’éloigner des moyens de supporter son quotidien en privilégiant des alternatives saines. La grande tendance du CBD, des marques yoga, un retour aux sciences anciennes telles que l’ayurveda, semblent être des miroirs sociaux qui montrent la réalité d’un ressenti collectif. Par tous les moyens trouver le bien-être, rencontrer le bonheur. Faut-il croire, en réponse, à une envolée philanthropique des marques ? On ne peut s’empêcher de penser à la manne financière que représentent ces industries plurielles mais complémentaires. Le yoga, par exemple, représente aujourd’hui en France un marché de plus de 116 millions d’euros. Au niveau mondial, le marché du Wellness a grossi de 12,8% au cours des deux dernières années, pour une industrie valorisée à hauteur de 4 200 milliards de dollars. Le doute quant aux intentions de ces nouveaux gourous est permis, au vu de l’attrait capitalistique.

Le bien-être aujourd’hui redéfinit ses contours, c’est un fait établi. Il s’agit à mon sens, de la prochaine industrie à potentiel où se nichent les marques leaders de demain. Mais la prudence est de mise : l’objectif du bien-être reste l’équilibre, la volonté de faire le bien pour soi, pour les autres, pour son environnement. Il serait paradoxal que le bien-être devienne l’exclusivité d’une nouvelle élite, plus riche, alors que nombreux sont ceux qui en manifestent le besoin, en dépit de leurs moyens financiers. Cette fulgurance marque surtout une profonde transformation d’une société, complexe et menacée, qui se cherche des repères, aux prémices d’une nouvelle crise mondiale dont on ne maîtrise pas la trajectoire. Parce que dans le fond, cela se saurait si le bonheur et le bien-être n’étaient qu’une nouvelle possession qui se monnaye, alors que le cheminement pour accéder est bien plus personnel, et sinueux. Cet engouement des marques pour cette industrie en dit plus sur l’état d’une société, que sur l’état du marketing. Le bien-être est une affaire de sens, mais l’énigme reste impénétrable à ce jour : les marques sont-elles aujourd’hui en mesure de l’apporter ?

(Les tribunes publiées sont sous la responsabilité de leurs auteurs et n'engagent pas CB News).

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