TikTok ou le défi de la publicité déconstruite
Le mot « déconstruire » est à la mode. Remis sur le devant de la scène par une génération qui n’est pas résignée à subir le monde mais à le réinventer, on l’a vu accolé à des mots et des concepts variés, avec en tête de liste la masculinité. Certains sont réfractaires à la démarche, réagissent de façon épidermique, peut-être effrayés à l’idée de participer à cet exercice d’introspection. Mais déconstruire, ça n’est pas détruire. C’est interroger, désapprendre ce que l’on croit savoir, se questionner, reprendre certains choses à zéro et oser se demander si finalement, il n’y a pas d’autres façons d’être et de faire. Le processus est sain et en cette période riche en bouleversements, bien des secteurs pourraient s’autoriser une réflexion « déconstructive », le monde de la publicité en tête.
C’est justement sur la nouvelle plateforme préférée de la jeune génération que pourrait avoir lieu la petite révolution car TikTok ne rabat pas seulement les cartes des parts de marché. Le succès du réseau social chinois risque d’amorcer une nouvelle ère pour les plateformes et les marques, de façon beaucoup plus concrète et rapide que n’importe quel métaverse. Création de contenu, stratégie de diffusion, politique éditoriale, tonalité, format… les marques vont devoir déconstruire leur façon de voir la communication.
Si comme dans tout nouveau bouleversement, il y a de nombreuses opportunités à saisir, il faut admettre que c’est un coup dur pour beaucoup de marques qui depuis 10 ans, essaient tant bien que mal de dompter les réseaux sociaux, leurs algorithmes, leurs fonctionnalités et leurs évolutions perpétuelles. Avec TikTok, il y a un nouveau shérif en ville, il a ses propres règles et que ce soit sur la plateforme elle-même ou sur les autres qui semblent résigner à le copier, les marques risquent inévitablement de devoir se soumettre à son autorité et revoir en partie leur communication digitale.
Premièrement, TikTok apporte un changement de paradigme fondamental : là où les réseaux sociaux historiques reposaient sur une mécanique relationnelle à laquelle s’était greffée un algorithme (vous aviez des amis, vous suiviez des pages de marque et pour réguler et prioriser ce que vous voyiez, un algorithme faisait le tri), TikTok a inversé le rapport de force. Grâce à son algorithme d’une efficacité redoutable, vous voyez d’abord les contenus susceptibles de vous plaire, peu importe qu’ils viennent des comptes que vous suivez ou de comptes dont vous n’avez jamais entendu parler. Cela a évidemment des conséquences énormes sur les marques. Non seulement, elles sont maintenant en concurrence avec des milliers de créateurs de contenus, mais en plus, l’avantage concurrentiel que pouvait représenter une notoriété bien établie est potentiellement réduit à néant. En effet, une petite marque peu connue qui fait des contenus particulièrement efficaces peut rapidement obtenir plus de visibilité et de retombées qu’une grosse marque qui produit du contenu inadapté.
Depuis plusieurs années, on lit partout que : « content is key ». C’était en effet déjà le cas avec les réseaux sociaux et l’avènement du brand content mais c’est, à l’ère de TikTok, une réalité encore plus frappante. Les stratégies éditoriales, plus que jamais, doivent être au coeur de la réflexion des marques. Il ne suffit plus d’être présent sur une plateforme, il faut y être meilleur que ses concurrents directs. Les mêmes questions se posent : quelle est la valeur ajoutée de mon contenu ? En quoi est-il particulièrement utile ou divertissant ? Quelles émotions va-t-il générer ? Quelles valeurs mettre en avant pour créer un lien fort avec ma cible ? Mais cette fois, il ne suffira pas de se convaincre soi-même que les réponses sont suffisantes ou crédibles. Le contenu en question passera l’épreuve du feu par le biais de l’algorithme TikTok. S’il n’est pas à la hauteur, il sera vite éclipsé.
Chaque marque devrait donc déjà être en train de travailler sur des stratégies de contenus adaptées à ces nouvelles exigences, réfléchir (entre autres) à des séries de vidéos déclinables, qui servent à la fois le discours de la marque et l’intérêt de la cible. Sans faire totalement table rase du passé, au moins l’analyser et le juger au prisme des nouvelles règles du jeu. Cela ne s’improvise pas. Et l’auto-critique ne doit pas se faire que sur le fond, mais aussi sur la forme car TikTok implante et impose peu à peu sa culture et ses codes. Des codes qui parfois, sont bien éloignés de ceux qui dominaient jusque là. Il suffit de prendre l’exemple d’Instagram qui, depuis plusieurs années, avait fait du « beau » le coeur de la bataille. Aujourd’hui, TikTok réintroduit l’inverse, avec des contenus bruts, authentiques, où cadrage et montage doivent faire transparaitre la sincérité et l’honnêteté. À la dimension inspirationnelle succèdent la pédagogie, la transparence ou l’humour. Les marques vont devoir déconstruire ce qu’elles pensaient savoir et s’adapter.
L’enjeu est aussi difficile qu’exaltant. On pourrait le résumer par cette phrase : comment à la fois se démarquer tout en se fondant dans la masse ? C’est ce petit exploit fait de deux injonctions contradictoires qu’il faudra réussir à relever. À la fois créer du contenu qui sorte du lot et qui marque l’audience (qui consomme pourtant des centaines de vidéos par jour) tout en adoptant un cadre qui ne dénote pas avec le reste. Ce n’est pas pour rien si aujourd’hui de nombreuses marques confient directement la création de leurs contenus TikTok a des influenceurs qui ont déjà faits leurs preuves sur la plateforme et en maitrisent parfaitement les codes.
En effet, dans ce monde où les contenus rivalisent de créativité et d’originalité, la publicité traditionnelle n’est pas la bienvenue. Trop intrusive, trop facile, trop vulgaire. La « génération TikTok » est exigeante. On dit souvent que le grand défi des marques aujourd’hui est de dépasser le rôle purement marchand, de se positionner et de contribuer au monde qui les entoure. Bref, de trouver leur place dans la société. Avant d’y parvenir, trouver sa place sur TikTok sera déjà un début. Et rien de tel qu’un peu de déconstruction pour attaquer un nouveau cycle sur des fondations plus solides.
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