Regardons-bien…
Cette tribune est une réaction à la campagne de sensibilisation lancée par La Fondation des femmes : « Regarde-moi bien ».
Je suis de ceux pour qui l’égalité homme-femme est une évidence anthropologique. J’imagine n’être rien d’autre qu’un homme dans la « norme » et dans son époque.
On me rétorquera, à juste titre, que si cela était si simple le sujet n’aurait pas lieu d’être. Je sais qu’à travers mon milieu, mes expériences, le prisme qui est le mien, je suis aussi de ceux qui ont mésestimé les réalités des inégalités en question, leur ampleur et leurs conséquences, y compris les violences extrêmes qui peuvent en naître et qui vont bien au-delà de la seule question des inégalités (même si celles-ci peuvent parfois y concourir).
Pour autant, je dois avouer avoir éprouvé un certain malaise en découvrant la vidéo et les affiches de la campagne lancée par La Fondation des femmes : « Regarde-moi bien ». En tant qu’homme, je me sais interpellé. Cette campagne me concerne… Son ton presque menaçant, ce tutoiement spontané (auquel il faut s’habituer un peu partout semble-t-il), ce « bien » qui vient fermer la phrase, à la façon d’un règlement de compte viril entre automobilistes (ce qui n’est pas à la gloire des hommes).
Je comprends que les femmes qui parlent ici réagissent en agressées et s’adressent aussi bien à un violeur potentiel, à un sinistre machiste, qu’à un interlocuteur masculin « banal » (d’une certaine manière donc à tous les hommes). J’ai bien compris aussi que l’enjeu est de donner à voir toutes les situations incriminées, en considérant que tout procède du même mal. Mais tous les hommes et toutes les situations méritent-ils une même appréhension, une même réaction, une même interpellation ? Tout et tous dans le même sac…
Cet amalgame a deux effets pervers. D’une part, il met tout au même niveau et se prive ainsi de poser les bonnes questions aux bons endroits. D’autre part, il nourrit une guerre des sexes généralisée, fondée sur le ressentiment et la haine. Ainsi, je lis dans la presse : « ce clip choral énonce tout ce que font les femmes pour sauver leur peau ». « Nous sommes en pleine préhistoire », déclare Julie Gayet, l’une des marraines de l’opération, dans une interview associée à la présentation de la campagne. S’agissant là de décrire l’état général de la société française, je me dis : les mots ont-ils encore un sens ?
Interroger ici le fond depuis la forme ne retire rien évidemment à la légitime et nécessaire mobilisation des femmes et des hommes pour l’égalité. Il n’en reste pas moins que certaines inégalités persistantes ou insuffisamment corrigées entre les hommes et les femmes dans la société ne peuvent pas être amalgamées avec certaines violences morales, physiques et sexuelles faites aux femmes – violences qui appellent une fermeté absolue. Cette distinction est nécessaire si l’on veut lutter correctement sur les divers fronts : lever les freins religieux, culturels ou sociaux qui les fondent, mais aussi clarifier ici et là, les régressions et les progressions à l’œuvre.
La nuance est permise et souhaitable. La place croissante que prennent les femmes dans la littérature, par exemple, est un fait et un signe. De même, dans les sciences, dans les médias, dans les entreprises. La performance des femmes dans les études est un marqueur de leur place montante dans la société. Et espérons que leur place en politique, où elle reste faible, s’équilibre rapidement.
Oui, certains secteurs sont à la traîne. Oui, des retards dans les évolutions des mœurs sont à déplorer. Bien sûr les inégalités salariales sont encore majoritairement liées aux inégalités homme/femme, mais l’on sait qu’à fonction équivalente, il arrive aussi qu’on paie mieux indifféremment un homme ou une femme sans que le sexe n’en soit l’explication. Les raisons sont diverses : un parcours différent (certains secteurs ont des grilles de rémunération plus favorables que d’autres), un âge différent et donc une ancienneté différente, etc.
Certaines inégalités entre hommes et femmes sont le fruit d’une Histoire de l’humanité qui ne joue pas à sens unique. Quand on regarde la première guerre mondiale (et les guerres en général), le tribut que les hommes ont payé, à la limite du génocide d’une génération, est bien le fruit d’une domination : non pas celle des hommes sur les femmes, mais d’un modèle de société qui pèse sur toutes et tous.
Soutenir une cause n’exclut pas certaines préventions et de légitimes questionnements – il est facile de dire, sans nuance et à tout, je soutiens parce qu’il le faut, parce que ça ne mange pas de pain, parce que l’on espère en tirer quelque chose ou s’épargner des critiques en assumant les siennes. On peut aussi considérer que l’égalité commence là, dans la nuance et dans l’écoute réciproque.
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