La publicité TV segmentée : entre opportunités et incertitudes
La télévision a connu une évolution majeure ces derniers mois avec l’arrivée tant attendue de la publicité segmentée en France. Après avoir été discutée pendant près de deux ans, un décret publié en août dernier a autorisé, pour la première fois, les publicités segmentées dans l’hexagone. Grâce aux données collectées par les opérateurs, les chaînes de télévision pourront donc cibler les téléspectateurs en matière de publicité. En effet, les téléspectateurs, pourront voir des spots publicitaires différents sur leur télévision en fonction de leur zone géographique et/ou de la composition de leurs foyers. Cette évolution offrira, à terme, une redynamisation du secteur de la publicité à la télévision, dépassée en termes de précision de ciblage, depuis quelques années par la publicité digitale. Une première phase pilote a été entamée début novembre par France Télévisions qui diffuse sur ses chaînes, des campagnes segmentées via les décodeurs Orange qui est le premier opérateur à lancer le service.
La fin des silos offline / online ?
En ces temps difficiles, la publicité segmentée se présente comme un accélérateur de business et un espoir de voir le marché s’agrandir grâce à une palette plus large d’annonceurs. De nouveaux annonceurs, qui n’ont pas vocation à rayonner nationalement, vont ainsi pouvoir faire leur apparition dans la « petite lucarne ». Ils seront en mesure de créer des spots publicitaires plus personnalisés et proches des intérêts de leurs cibles. De plus, cette innovation attirera de nouvelles catégories d’annonceurs (PME, start up etc…) qui manquaient de budget pour s’offrir une publicité à la télévision. Selon une étude du cabinet Oliver Wyman, dans les pays où la publicité segmentée est implantée tels que Royaume-Uni, la Belgique et les États-Unis, elle représente déjà 2 à 5% chiffre d’affaires des régies télé.
L’arrivée de la publicité segmentée est également une aubaine pour les chaînes TV qui y trouveront un éventuel relais de croissance. Les médias traditionnels sont de plus en plus délaissés par les plus jeunes, notamment la génération Millennials. La TV connectée, comme l’AVOD constituera, pour les marques, une manière de reprendre contact avec eux. Les annonceurs seront toutefois soumis à des restrictions : ils auront interdiction d’indiquer l’adresse de leurs points de vente. La publicité segmentée ne devra pas non plus excéder deux minutes par heure en moyenne quotidienne, six minutes par heure d’horloge. Cette innovation offre la possibilité aux annonceurs de repenser et d’adapter leurs stratégies à tous les écrans, allant du smartphone à la TV, en passant par les réseaux sociaux. Les marketers pourront dès 2021 penser leurs campagnes sur tous les canaux d’une manière plus fine.
Néanmoins, même si pour un programme identique, les téléspectateurs pourront voir des spots , en fonction de leur localisation ou de la composition du ménage, il ne sera pas possible de faire de l’ultra ciblage comme c’est le cas en ligne. En effet, la publicité segmentée n’est pas destinée à offrir aux téléspectateurs un ciblage individuel à la télévision comme on peut le voir sur internet mais à proposer aux consommateurs des publicités plus pertinentes. Ce qui soulève la problématique du consentement.
La question du consentement
Tout l’intérêt et le succès de la publicité segmentée dépendront de la taille du parc susceptible d’en profiter, et surtout, des utilisateurs ayant donné leur consentement. Comment va se dérouler le recueil du consentement des utilisateurs ? Dans le cadre de la publicité TV segmentée via les box internet, ce seront les fournisseurs d’accès internet qui auront la charge de recueillir le consentement explicite (« opt-in »). Pour les utilisateurs équipés de TV connectées, les chaînes devront elles-mêmes obtenir le consentement des concernés. Ce qui ne semble pas gagné d’avance, car si on en croit une étude YouGov, réalisée en mars 2020, seulement 39% des Français sont favorables à la publicité TV segmentée alors que 56% y sont opposées. Ce sont les 18-34 ans, qui semblent plus enthousiastes à la publicité ciblée contre seulement 18% de leurs ainés de 55 ans et plus. Les principales raisons du rejet sont pour 66% le refus que leurs données personnelles soient utilisées ou encore pour 32%, le problème éthique que représente la publicité segmentée.
La publicité en ligne fait face aujourd’hui à une utilisation importante d’adblocker en ligne. Aujourd’hui, alors que les plateformes payantes de SVOD se multiplient et éloignent leurs audiences de la publicité, des modèles alternatifs existent.
Aujourd’hui avec la multiplication des plateformes de SVOD, les consommateurs n’hésitent plus à payer un abonnement en échange d’un service sans publicité et s’éloignent de la télévision traditionnelle, et de leurs publicités. Mais des modèles alternatifs existent. Pour être mieux acceptée, la publicité doit avoir un rôle bien défini et utile pour le téléspectateur. Par exemple, l’AVOD se développe sur l’échange de valeurs entre consommateurs et annonceurs, un contenu devient gratuit grâce à la diffusion de spots publicitaires. Il faudra donc attendre de voir comment la publicité segmentée sera mise en place, afin de voir si les Français accepteront ou non ce nouveau format, sans le juger trop intrusif.
Pour l’heure, il faut patienter encore quelques mois, le temps que les utilisateurs soient équipés des derniers décodeurs et qu’ils aient donné leur consentement concernant cette nouvelle approche publicitaire. En définitive, la publicité segmentée représente une vraie lueur d’espoir pour un monde de l’audiovisuel en pleine mutation, et pour les annonceurs qui souhaitent briser les silos et optimiser leurs campagnes. Elle permettra d’allier la puissance de la télévision avec la profondeur du digital. Espérons que ce nouveau modèle saura tirer les leçons des erreurs du passé en gardant le consentement de l’utilisateur au cœur de sa stratégie et de son développement.
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