Les marques sortent de l'isoloir
De plus en plus de marques s'engagent dans les débats politiques ou sociétaux. Une démarche qui ne doit pas céder à l'opportunisme au risque de voir un résultat inverse à l'effet escomptée. Par Laurent Buanec, directeur brand Strategy de Twitter EMEA
Engagez-vous, engagez-vous qu’ils disaient…
C'est le sentiment amer qu'a dû ressentir Pepsi suite au scandale provoqué par sa publicité avec Kendall Jenner en avril dernier. La marque, accusée d'exploiter à des fins commerciales le mouvement #BlackLivesMatter, a été contrainte de s’excuser et de retirer son spot.
A contrario, beaucoup saluent la récente campagne #OpenYourWorld d’Heineken UK.
De plus en plus de marques cherchent à prendre position sur les grands enjeux de société. Le phénomène n'est pas nouveau. Dès 2009, le conférencier et auteur d’ouvrages sur le management et la motivation Simon Sinek établissait les fondamentaux du "Purpose Marketing". Y voir une démarche purement philanthropique serait aller un peu vite en besogne. Dès 2012, BBMG & Globescan crée un nouveau segment les "consommateurs aspirationnels", définis par leur intérêt pour les marques agissant dans l'intérêt de la société. En 2016, ce groupe de consommateurs représentait 40% de la population mondiale.
Chez Unilever, en 2015, le segment de marques responsables a connu une croissance 30% plus rapide que le reste du portefeuille. Preuve que la responsabilité ne s'arrête désormais plus au seul développement durable mais également aux grandes questions de société. Depuis plus de 10 ans, Dove décline avec succès sa plateforme de mission sociale pour l'estime de soi et construit sa légitimité sur le sujet. Ses campagnes #SpeakBeautiful ou encore #MyBeautyMySay ont sans surprise trouvé un écho favorable sur Twitter au côté des #HeForShe, #DressedLikeAWoman, #ILookLikeASurgeon et autre #WomensMarch. Autant de hashtags concentrant et catalysant les conversations et les engagements autour de la cause féminine.
Au-delà de leurs produits, l'engagement des marques est donc désormais jugé sur leurs contenus de communication mais également sur leurs plans médias.
En Angleterre, Lego a ainsi coupé en 2016 ses investissements publicitaires sur le Daily Mail, ne voulant pas être associé aux contenus et propos extrémistes véhiculés par le journal lors des débats post Brexit et plus récemment, en France, après le canular jugé homophobe diffusé au cours de l'émission TPMP, de nombreux annonceurs ont décidé de suspendre leurs publicités diffusées sur le créneau horaire du talk-show.
Dans un monde de plus en plus polarisé par les prises de position politiques, les marques se font désormais militantes, voire même partisanes. On ne compte plus celles qui, comme Budweiser qui a remporté le dernier Superbowl avec son spot intitulé "Born The Hard Way", se sont dressées face aux décisions controversées de Trump comme le #TravelBan. Les Tech Companies, à l'image de Airbnb, ont souvent sonné la charge. Il faut dire que se positionner sur de tels sujets répond pour elles à deux enjeux : externes et internes. Avec #WeAccept, message de solidarité avec les réfugiés, propulsé directement par son patron sur Twitter, Airbnb a émergé sur le sujet, positionnant distinctement la marque au sein du brouhaha collectif et adressant un message clair pour ses employés, sa communauté et ses consommateurs.
Naviguer sur ces terrains politiques est une prise de risque à intégrer pour les marques.
Ne pas prendre parti peut aussi parfois s'avérer risquer. Lorsque Jérôme Jarre pousse un coup de gueule pour mobiliser l'attention sur la famine en Somalie, il sait qu'il peut s'appuyer sur sa #LoveArmy issue de ses 1.38M d'abonnés Twitter pour relayer ses messages et mettre la pression sur les marques. Il crée ainsi sur Twitter le hashtag #TurkishAirlinesHelpSomalia dans le but d'interpeller la compagnie aérienne turque qui décide d'affréter un avion pour livrer des vivres. A une époque où les clivages politiques se font grandissant, l'engagement revêt désormais une autre dimension. Au même titre que l'on achetait une marque comme signe extérieur de richesse, on achète désormais une marque comme signe extérieur de valeur.
Si certaines se brûlent les ailes en révélant leur opportunisme, pour d'autres en revanche, le cynisme serait de ne pas prendre position. Une marque devra toujours démontrer sa légitimité et sa crédibilité par la preuve avant d'en faire un argument marketing. N'est pas Patagonia qui veut.
Enfin, ces stratégies ont peu de chance d'aboutir si elles ne sont pas portées au plus haut dans l'entreprise. On appréciera à ce titre et à sa juste valeur la bio Twitter de Paul Polman : "CEO of @Unilever. Business as force for good. Purpose, Passion, Positive attitude."