Halte à la tinderisation de la création / Eloge de la patience / Au temps suspend ton vol

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« Communiquer, c’est aimer » disait Marcel Bleustein Blanchet. Impossible pour les professionnels de la communication de toucher le client final, sans le comprendre au sens premier terme, c’est-à-dire l’embrasser, bref en pincer pour lui.

Pas de création juste, authentique donc, sans réelle empathie, affection profonde pour les publics ciblés … ni sans sincérité dans la relation entre l’agence et cet autre « autre » qu’est l’annonceur.

Le triangle amoureux agence/annonceur/consommateur

Car oui, l’agence et l’annonceur forment bien un couple. Pourquoi surnommerait-on sans cela les cabinets de conseil qui les mettent en relation pour la gestion des compétitions les « marieurs » ? Leur pas de deux repose sur des fondements quasi conjugaux : respect mutuel, confiance & transparence. Leur relation se construit parfois selon une chronologie qui peut faire penser à celles de bien des histoires d’amour.

On rencontre l’autre, on échange, le courant passe, on se revoit, on s’apprécie, puis un premier brief - un premier baiser - une première mission - un weekend à deux - , puis un second projet plus important, puis on est introduit auprès de la gouvernance - les parents, les amis - et puis la vie : on travaille ensemble, on créé de belles marques, on les chérit, on les voit grandir avec fierté ! Se donner ce temps garantit la qualité des livrables qui rend possible la longévité d’une relation agence/annonceur.

Le speeding dating de la créa

Seulement, ce parallèle sentimental est mis en danger, déconstruit par la Tinderisation des comportements. En effet, les plateformes d’intermédiation, Uber, Blablacar, Airbnb, Justeat, Vinted, Leboncoin mais aussi Tinder, Bumble, Happn ont imposé de nouveaux standards de consommation & d’attitude fondés en partie sur l’ultra-choix (des sièges, des chambres d’hôtel, des vêtements, de nourriture, de mobilier, des partenaires amoureux) & l’instantanéité. Cette mutation de nos vies n’est pas restée cantonnée à la sphère personnelle et à une consommation de loisirs, de mobilité, d’ailleurs, de flirts et plus si affinité… Les hommes passent en moyenne 28,4 minutes par jour sur Tinder et swipent à droite 46% du temps. Elle répond maintenant à un nouveau manque prétendument vital et les mécanismes de l’intermédiation ont envahi nos vies polluant, bien entendu, le monde professionnel. La relation entre agences et certains annonceurs n’a pas été épargnée.

Prise de contact à la hâte puis ghosting, swipe créatif ou sentimental à gauche puis à droite, compétitions sans dédit/soirée sans lendemain… J’en passe et des meilleures.

Le coup de foudre à tous prix

Comme l’écrit Charles Pépin dans La Rencontre, une philosophie : « Sur-connectés, sollicités de toute part, interpelés sans cesse par les notifications de nos smartphones, nous risquons de perdre le sens de la durée, de la construction, de l’approfondissement des choses et des liens. »

Dans ce contexte de recherche d’immédiateté, le coup de cœur est devenu le Graal de toute présentation. Cet effet waouh capricieusement recherché par chacun nie la nécessité de se donner le temps de réfléchir, de faire l’effort de l’analyse. Il se joue de toutes les étapes, du cheminement préalables à l’identification d’une idée créative porteuse. De plus, si le coup de cœur individuel est plus que rare (« j’ai pas le coup de cœur »), la synchronicité de ce coup de foudre au niveau d’un comité de pilotage entier tient de l’utopie tout bonnement impossible.

Le retour du brainslowing

Il y a donc urgence. Prenons le contre-pied de cette tendance au zapping simplificateur et - n’ayons pas peur des mots - paresseux. Tournons le dos aux sprints créatifs, en « mode commando » et aux « c’est pour demain ». Remettons la patience au cœur de nos projets et de nos métiers. Les préparation, incubation, illumination, vérification, décrites par Jules Zimmermann dans La Baignoire d’Archimède demandent d’avoir enfin le temps. L’innovation s’origine moins dans un éclair de génie, d’un émerveillement créatif que dans un cheminement nécessaire dont l’ingrédient indispensable est le temps. Du côté de l’agence, réhabilitons rêveries, temps morts propices à l’imagination & à l’émergence des zones grises fécondes. Côté projet, militons pour les briefs non collectifs qui s’étirent en longueur, les sessions de questionnement, les itérations qui seuls rendent possibles le fameux pas de côté et in fine la co-création avec nos clients.

Des belles rencontres humaines naissent des histoires passionnées et les belles marques qui vont avec.

(Les tribunes publiées sont sous la responsabilité de leurs auteurs et n'engagent pas CB News).

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