« Les fake news déstabilisent la démocratie et la vérité scientifique » - Arnaud Caré (Ipsos)
Lutter contre les fakes news : une étude interculturelle révèle les mécanismes psychologiques-clés.
A l’occasion des élections européennes de 2024, Ipsos avait réalisé pour Sopra Steria une enquête sur l’impact de la désinformation sur les élections[1]. Elle montrait notamment que seuls 20% des Français disent avoir confiance dans les comptes qu’ils suivent sur les réseaux sociaux[2] ou les messageries instantanées[3], 35% dans les médias en ligne, contre 61% pour les journaux imprimés ; elle révélait aussi que 74% estiment être souvent confrontées à des informations délibérément fausses.
Les Français sont conscients des risques de fake news : 84% jugent que les fausses informations ont un impact majeur sur les phénomènes de violences ou de haine, 81% sur la radicalisation et le terrorisme, 77% des sondés estimant finalement que la diffusion de fausses informations a des conséquences importantes sur le fonctionnement de la démocratie.
Pourtant, quand on entre dans le détail d’informations avérées fausses, 66% adhèrent à au moins l’une des fakes news qui leur ont été présentées. Par exemple, 46% considèrent comme vraie l’idée que « de nombreux gouvernements et organisations dans le monde sont contrôlés par le même petit groupe de personnes très puissantes et influentes qui défend leurs intérêts et utilise les médias pour manipuler l'opinion publique » et 25% que « le vaccin contre la Covid-19 a provoqué des millions de morts ».
Plus intéressant encore, on note l’importance de la proportion de Français qui estiment qu’ils n’ont pas assez d’informations pour se prononcer, 27% à propos des images « montrant les Américains sur la lune sont fausses, elles ont été tournées dans un studio » ou 33% pour qui « il n'existe pas de consensus scientifique sur l'origine humaine du réchauffement climatique ».
Une autre enquête d’Ipsos, cette fois pour l’Institut Sapiens[4], révèle l’un des dommages périphériques des fake news, la défiance à l’égard des scientifiques et la progression du jugement personnel. 51% des Français pensent que « ce n’est pas parce qu’un scientifique expert d’un sujet démontre un fait qu’il est vrai et vaut plus que leur jugement personnel ». 42% vont même jusqu’à estimer que « pour savoir si un fait est vrai ou faux scientifiquement, ils font plus confiance à leur expérience personnelle qu’aux explications des scientifiques ».
Comment lutter efficacement contre ces phénomènes ? En comprenant d’abord les ressorts psychologiques qui poussent les individus à y croire.
L’étude collaborative conduite par Steeven Ye (Organisation Scientifique Mondiale et chercheur à LaPsydé[5]) s’est déroulée dans quatre pays pour comprendre les différents facteurs en mesure d’augmenter notre capacité à distinguer vrais et faux contenus.
Elle s’est déroulée en trois temps : avec LaPsyDé, déterminer scientifiquement la psychologie qui se cache derrière la croyance aux fausses nouvelles, avec Ipsos, tester et valider les hypothèses sur un vaste échantillon (8800 personnes également réparties en France, Royaume-Uni, États-Unis, Inde), et avec la Maison d’édition Nathan, développer de nouveaux contenus pédagogiques pour aider les élèves à mieux s'orienter dans les informations.
L’étude démontre que l’environnement culturel influe fortement sur le discernement médiatique (Media Truth Discernment), les scores de MTD variant sensiblement d'un pays à l'autre. Toutefois, le niveau d'études est un déterminant-clé transversal du MTD avec le mode de raisonnement : les personnes combinant intuition et analyse obtiennent de meilleurs scores que celles se fiant uniquement à leur instinct. L'impact des émotions est donc majeur, ressentir des affects positifs (joie, excitation...) face à un titre d'actualité tendant à réduire la vigilance et donc le discernement.
S’il fallait dresser leur portrait, on pourrait dire que les personnes qui adhèrent aux fake news ont tendance à se fier davantage à leur intuition qu'à leur esprit d'analyse, à ressentir des émotions plus fortes que les autres en présence d’informations accrocheuses, et à croire davantage aux théories complotistes a priori.
La meilleure manière de limiter le pouvoir de nuisance des fake news est le développement de programmes de sensibilisation et d'éducation adaptés à chaque pays mais avec un principe transculturel fondamental, encourager la pensée analytique et critique dès le plus jeune âge. Autrement dit, redonner tout son rôle à la raison dans un monde d'informations ultra-rapides et sensationnalistes, à l’opposé de la tentation de réagir impulsivement, avec ses peurs, ses fantasmes, ses croyances ou ses simples envies.
Arnaud Caré, directeur général adjoint d’Ipsos en France
[1] Enquête Ipsos pour Sopra Steria menée du 21 au 23 février 2024 auprès de 1000 personnes constituant un échantillon représentatif de la population française.
[2] Facebook, Youtube, X/Twitter, Instagram, Tik Tok
[3] WhatsApp, Telegram, Messenger, Signal…
[4] Troisième édition du Baromètre « Science et Société ». Etude menée en ligne auprès d’un échantillon de 1000 personnes représentatif de la population française de 18 ans et plus en France métropolitaine, interrogées en ligne du 27 septembre au 3 octobre 2024.
[5] https://www.lapsyde.com/
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