Cookies sur Internet : la fin d’une ère
"Google vient d’annoncer qu’il renonce au ciblage individuel sur son navigateur Chrome, concrétisant sa promesse de supprimer la publicité basée sur les cookies-tiers. Une profonde remise en question pour Internet, qui s’est construit depuis 20 ans sur la commercialisation de la vie privée. Les utilisateurs ont dû accepter malgré eux cette monétisation de leurs données. Comme les acteurs digitaux, les régulateurs sont conscients de cette exigence et répondent aux multiples plaintes en tentant de réguler ce far west. Dès aujourd’hui, les acteurs du web doivent anticiper la mort des cookies et mettre fin à l’utilisation anarchiste des données pour créer un Internet basé sur les internautes.
Une demande de respect des données personnelles
Une plainte a été déposée le 10 décembre 2020 auprès de l'autorité de protection des données personnelles de six pays européens contre l'usage publicitaire et la revente des data. Loin d’être des initiatives isolées, ces actions en justice font écho à la demande généralisée d’un Internet qui ne soit plus basé sur les cookies tiers - tout en restant gratuit. Ces plaintes sont révélatrices d’une tendance de fond : depuis plusieurs années, les initiatives se multiplient contre la récolte et la gestion anarchique des données personnelles. Les législations suivent la demande des consommateurs : poursuites en justice, CNIL, mise en place du RGPD… Apple, Mozilla ou encore Google l’ont compris et sont en train d’interdire progressivement l’usage des cookies sur leurs navigateurs.
Au-delà de ces changements dans le fonctionnement des acteurs du Web, les utilisateurs sont de plus en plus sensibles à leur propre responsabilité dans l’usage de leurs données. Désormais ils sont prêts à choisir de payer pour des offres premium sans pub - 70% n’y seraient pas opposés pour pouvoir utiliser Instagram, selon une étude de l’agence créative américaine McGuffin - et 65% des Français ont déjà accepté l’usage des cookies alors qu’ils n’étaient pas tout à fait d’accord, selon la CNIL.
Une opportunité pour la publicité digitale
Même la publicité digitale, poumon de ce web basé sur les données, est en train de changer. Hier, elle était presque entièrement basée sur les données personnelles, qui permettaient aux annonceurs de diffuser des spots ultra ciblés. Personne n’a remis en question ce statu quo pendant plus de vingt ans, mais ce fonctionnement basé sur les cookies tiers était-il vraiment performant ? Si on se penche sur les chiffres, la publicité ciblée grâce aux données personnelles, c’est aujourd’hui un taux de clic de 0,46% et 44% des internautes français utilisant des adblockers.
Pour les éditeurs, héberger ce type de publicité revient même plus cher à cause des multiples intermédiaires, nuit à l’expérience des internautes sur leurs pages avec des publicités mal réalisées et souvent mal ciblées, et les oblige à mettre en place des pop-ups de consentement alourdissant leurs sites. Finalement, ce changement dans la publicité digitale est une opportunité pour penser une publicité plus intelligente et respectueuse des utilisateurs.
La fin des cookies, le début d’une ère
Qu’ils le veuillent ou non, les acteurs du web vont devoir faire sans les cookies tiers. Cette révolution va-t-elle pour autant remettre en cause le principe de gratuité du web tel qu’il a été pensé à son origine ? Dans un Internet basé sur la gratuité, comment survivre sans les revenus de la publicité ciblée, alors même que les utilisateurs sont habitués à un contenu gratuit et veulent qu’Internet le reste ? En réalité, la fin des cookies tiers va permettre à tous les acteurs du web de repenser leur relation aux consommateurs. Elle les pousse à trouver de nouvelles manières de toucher les internautes.
C’est le cas des systèmes d’identifiants uniques, comme PassMedia, qui rassemble des sites comme L’Équipe, Paris Match, Le Figaro et Europe 1. Il permet à un internaute de ne créer qu’un seul identifiant pour avoir accès à plusieurs médias, et à ces éditeurs de mieux connaître leurs lecteurs. Le système d’identifiant unique donne par ailleurs aux annonceurs un contrôle plus précis du ciblage de leurs publicités et une meilleure visibilité sur leur diffusion.
Des éditeurs choisissent, eux, de mettre en place un ciblage publicitaire contextuel sur leurs sites. Ce format de publicité basé non plus sur les données personnelles mais sur l’analyse des articles lus par les internautes garantit un meilleur retour sur investissement. C’est du moins le constat qu’a fait la BBC hollandaise, NPO, qui a mis fin à l’usage des cookies tiers sur ses sites et a observé une augmentation de 79 % de ses revenus publicitaires. La publicité contextuelle impose cependant une réflexion sur toute la chaîne de valeur de la publicité en ligne : créations plus qualitatives et optimisées pour le web, insertion sur les articles respectueuse de l’expérience de l’internaute...
Autant d’options qui permettent par ailleurs aux éditeurs de gagner en indépendance face aux géants de la tech.
Une révolution nécessaire
Internet des années 2000 va mourir avec les cookies tiers. Née en 1994, identifiée comme un risque de violation de la vie privée en 1995 et seulement révélée au grand public en 1996, cette monnaie virtuelle a défini le Web tel qu’on le connaît. Elle aura définitivement disparu avant la fin de la décennie et éditeurs, annonceurs, hébergeurs ou navigateurs doivent maintenant se tourner vers une monétisation intelligente du Web, respectueuse des utilisateurs et de leurs données. Parce qu’Internet est, par essence, gratuit - et doit le rester".
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