Éloge de l’impertinence
Comment retrouver la pertinence de la communication, dans un monde chamboulé comme jamais ?
En réalité, la crise n’a fait qu’accélérer une remise en question latente. La réclame des années soixante a accompagné la croissance mondiale, la publicité flamboyante de la fin du siècle a consacré le rôle de la communication dans l’économie, et l’essor du digital a démultiplié les possibilités d’expression des marques au début du 21ème siècle. Mais la pub n’a pourtant jamais été autant critiquée. Elle pousse à la surconsommation. Elle est polluante. Quand le modèle capitaliste dominant vacille, et que l’humanité rêve d’un « monde d’après » différent, il est tentant de brûler l’étendard du « monde d’avant ».
La révolution qui est en train de s’accomplir est précisément une révolution culturelle, accélérée par la pandémie. Nos contemporains prennent conscience de la fragilité de leurs corps et de notre environnement. Dans ce contexte, les marques sont soumises à une exigence inédite. Elles ne doivent plus promettre un bonheur fugace au détriment du futur, elles doivent s’inscrire dans un projet humain pérenne. L’avion et l’automobile constituaient des symboles de liberté, ils respirent la nuisance potentielle. Les céréales du matin ou les sodas de l’après-midi vantaient le dynamisme et l’énergie, ils deviennent synonymes de malbouffe.
Nous sommes entrés au royaume des contradictions. Il faut sauver l’emploi, et donc la croissance - mais il faut viser la décroissance pour vivre dans un monde meilleur. Il faut respecter les libertés individuelles, et donc refuser d’utiliser les données personnelles - mais il faut fournir un accès à tous aux contenus, et gratuitement. Il faut sauver la démocratie, et donc assurer la pluralité des médias - mais il faut contraindre la publicité, qui permet économiquement leur survie. Il faut que tout le monde puisse s’exprimer, et donc développer les réseaux sociaux – mais il faut éradiquer les fake news.
Le résultat de ces injonctions oxymoriques est le développement sans précédent d’un sentiment de méfiance, voire de dénigrement, face aux vérités établies, et à ceux qui les ont entretenues : gouvernements, patrons, médias, représentants de l’establishment. L’effacement des certitudes conduit à l’insécurité, et particulièrement en France à une critique tous azimuts.
Le malaise publicitaire est le miroir de cette défiance. Les consommateurs sont avant tout des citoyens, et petit à petit leurs comportements rejoignent leurs convictions. Le processus est long, erratique, aussi contradictoires que les forces sous-jacentes qui le porte. Mais le mal s’est instillé : les vérités assénées par les marques, au mépris parfois de la réalité tangible, fragilise l’efficacité des dispositifs de communication.
Pourtant, réduire la publicité à cette caricature serait commettre une erreur fondamentale. Car elle n’est que la partie émergée d’un iceberg qui la dépasse. La communication, c’est avant tout cette capacité extraordinaire qui fonde l’identité de l’être humain. Il n’y a ni pensée ni culture sans langage, pas de société sans expression collective.
Le problème n’est donc pas la communication en tant que telle, mais la façon dont elle s’exprime.
Dans ce contexte, retrouver de la pertinence, c’est avant tout résoudre les contradictions. En soi c’est assez simple : faire ce que l’on dit, dire ce que l’on fait. Il s’agit de réduire l’écart entre la satisfaction de court terme (principe de consommation) et les exigences du long terme (principe de conservation). C’est ainsi que fleurit la notion de « raison d’être » pour les marques. Tous les publicitaires déclament ce mantra avec force : marques et institutions doivent retrouver avant tout leurs valeurs.
Pour être pertinent désormais, il faut donc se présenter face au consommateur, paré des attributs de toute vertu : transparence, engagement, respect.
Cette approche recèle toutefois un immense danger. Le piège du politiquement correct constitue une véritable trappe à l’efficacité. Pour exister, il faut émerger. Sans saveur et sans odeur, lisse et tiède, tout discours devient inaudible.
Ma conviction est double. D’une part, il est fondamental pour les publicitaires de jeter aux orties les oripeaux de l’affirmation clinquante, en niant les priorités actuelles. Il est aussi important de compléter la traditionnelle approche indifférenciée qui traite chacun comme tout le monde, par une démarche de personnalisation et de proximité psychologique. D’autre part, il est tout aussi fondamental de ne pas se perdre dans des messages aseptisés, assénés de la même manière qu’avant la crise.
Chez Dentsu, nous avons développé plusieurs outils qui permettent à nos clients d’appréhender ce nouveau paradigme avec détermination. Notre approche mediaplanning, par exemple, est en pleine révolution : nous remplaçons petit à petit une approche purement quantitative, faite de GRP et de taux de mémorisation, par des indicateurs centrés sur l’efficacité commerciale. Notre nouvel outil « Trust-planner » permet ainsi de choisir les médias non plus uniquement de façon à augmenter la couverture sur la population, mais surtout sur la capacité à choisir les meilleurs drivers de confiance pour qu’une marque puisse convaincre ses clients.
Être pertinent, ce n’est pas se conformer à tous les codes. C’est au contraire les déconstruire, les réinventer, briser les contradictions de son époque par l’innovation.
C’est le fondement même de l’impertinence : jeter à la face de la majorité sa propre vérité, remettre en cause les certitudes - et le faire vite, et fort. Bref, communiquer.
(Les tribunes publiées sont sous la responsabilité de leurs auteurs et n'engagent pas CB News).