L’affiche, bien avant la communication extérieure
Gabriel Loppé - Colonne publicitaire dans la nuit - (c) Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Alexis Brandt
Le musée d’Orsay accueille une nouvelle exposition dédiée à ce qui n’était pas encore un media...
Des cabarets vus par Toulouse-Lautrec aux premières publicités ou à la propagande de guerre, le musée d'Orsay présente à partir de mardi une exposition inédite consacrée à l'âge d'or de l'affiche illustrée dans la deuxième moitié du XIXe siècle.
Intitulée "L'art est dans la rue", elle présente près de 230 œuvres dont 138 affiches grand format et quelques peintures, photographies, films et objets d'art décoratifs évoquant une plongée visuelle dans la grande ville en pleine mutation qu'est Paris à cette époque. La majorité des affiches, aux couleurs éclatantes, proviennent de la Bibliothèque nationale de France (BnF) qui en conserve plus de 300.000, l'une des plus importantes collections de ce type au monde. Lors de la Révolution française, la propagande imprimée avait connu un essor considérable. Au XIXe siècle, l'affiche illustrée se développe de manière spectaculaire en s'appuyant sur l'invention de la lithographie. À partir de 1850-60, murs et palissades, kiosques et colonnes Morris, urinoirs et métropolitain constituent autant de supports pour capter le regard des passants avec un nouveau type d'affiches : illustrées et en couleurs.
L'exposition raconte "comment cette invention est devenue un moyen de communication de masse mis au service du commerce, bien sûr, mais aussi des spectacles, puis de la politique", explique Élise Dubreuil, l'une des nombreuses commissaires de l'exposition. En 1880, l'affiche devient un medium artistique à part entière autour de la figure de Jules Chéret, surnommé le "roi de l'affiche". "La loi de 1881, dite loi sur la liberté de la presse, prévoit que l'affichage est autorisé partout où il n'y a pas la mention interdiction d'afficher", ajoute-t-elle, devant un film en noir et blanc montrant des colleurs d'affiches de l'époque se disputant des espaces de mur encore disponibles.
Les artistes s'y bousculent
Autour de 1890, les artistes Henri de Toulouse-Lautrec, Eugène Grasset, Alphonse Mucha, Théophile Alexandre Steinlen et les Nabis - Pierre Bonnard, Henri Gabriel Ibels, Édouard Vuillard ou Félix Vallotton - s'emparent de ce genre. "Ils introduisent une nouvelle esthétique dans un domaine qui était dominé par Chéret jusque-là. Ils sont très jeunes, moins de 30 ans, et vont investir en partie ce nouveau genre", souligne Anne-Marie Sauvage, conservatrice générale de bibliothèque honoraire (BnF). Le "Chat Noir" de Steinlen, en hommage au cabaret éponyme, "la Goulue" du "Moulin Rouge" et nombre de portraits du chansonnier au chapeau noir et à l'écharpe rouge "Aristide Bruant" peints par Toulouse-Lautrec voisinent avec des affiches d'Alphonse Mucha représentant l'actrice Sarah Bernhardt, au sommet de sa gloire, en déesse iconique des arts décoratifs. Dans une salle dédiée à la consommation, favorisée par la révolution industrielle, la publicité, les grands magasins et la toute nouvelle vente par correspondance, des artistes comme Leonetto Cappiello, Henri Gustave Jossot, au graphisme proche de la bande dessinée, ou Frédéric Hugo d'Alési rivalisent pour vendre lait, biscuits, chocolat, conserves mais aussi papier à cigarette, alcools ou voyages.
La ville transformée par les grands travaux haussmanniens devient aussi un espace d'expression politique et de revendications sociales. En 1892, l'architecte Frantz Jourdain pose la question de la responsabilité sociale de l'artiste dans un article intitulé "l'art dans la rue". Peu avant le tournant du XXe siècle, alors que la République est encore contestée et fragilisée par nombre de crises dont l'affaire Dreyfus, les affiches politiques se diffusent par le biais de la publicité pour des romans sociaux comme ceux d'Émile Zola, publiés sous forme de feuilletons dans des journaux à grand tirage. Les journaux militants au spectre très large, allant des radicaux de droite, antisémites et nationalistes à l'extrême gauche et aux feuilles anarchistes, ont recours à un art de l'affiche illustrée d'une très grande virulence et d'une très grande liberté, comme le montrent plusieurs exemplaires anticléricaux, antirépublicains ou antimaçonniques. Parmi eux, "La Fronde", journal féministe, est entièrement réalisé par des femmes. C'est aussi une rare femme artiste, Clémentine-Hélène Dufau, qui en réalise l'affiche de promotion en 1898. Ce langage mural va durablement marquer la propagande par l'affiche qui se développe pendant et après la Grande Guerre et sur laquelle se conclut l'exposition.