Emeutes et réseaux sociaux : sortie du réel ou réalité amplifiée par la virtualité ?
Dans le contexte des récentes émeutes suscitées par la mort tragique de Nahel, tué par un policier, les réseaux sociaux se retrouvent une fois de plus au centre des débats. En quoi et pourquoi sont-ils considérés comme amplificateur de violences urbaines ? Quel rôle jouent-ils dans la diffusion des vidéos et quels sont les enjeux réels derrière ces contenus ?
Mimétisme et partage massif en temps réel
L'effet de mimétisme est l'un des premiers phénomènes observés grâce au partage massif des vidéos de violence. Ces vidéos ont suscité une sorte de surenchère et de défi, poussant les jeunes impliqués dans les émeutes à réaliser des actes plus spectaculaires que ceux précédemment diffusés, voire à imiter ce qui avait été fait par d'autres. Les contenus des vidéos, filmées par des témoins ou des participants, varient entre des témoignages simples de pillages et des tonalités humoristiques ou ironiques accompagnées de commentaires décalés.
Une coordination des actions violentes facilitée par les réseaux sociaux
Si en 2005, les appels téléphoniques ont suffi pour permettre aux jeunes de se synchroniser, la différence majeure soutenue par l’utilisation des plateformes se situe dans la diffusion ou le partage d’informations en temps réel et à un nombre très important de personnes en simultané.
Ainsi, des vidéos ont été massivement diffusées sur des plateformes telles que Snapchat, TikTok, Twitter, et dans des groupes privés sur Telegram. La plateforme Snapchat, en particulier, a permis de repérer les lieux des émeutes grâce à la "snap map", qui indique en temps réel les zones où se concentrent les publications publiques. Les hashtags les plus populaires répertoriés à cette occasion ont également favorisé la diffusion des vidéos. En cherchant les mots clés #émeutes, #Nahel, #Nanterre, #police, #guerrecivile, on pouvait trouver instantanément et en masse tous les contenus en référence aux violences en cours.
Entre liberté d’expression et sécurité, quelle réponse institutionnelle apporter ?
Face à cette situation, les autorités ont cherché des réponses en demandant aux plateformes telles que Meta, Snapchat, Twitter et TikTok de retirer rapidement les contenus signalés et d'identifier les réseaux participant à des infractions, tout en répondant aux demandes des autorités judiciaires.
Des discussions sont également en cours sur la question de lever l'anonymat des personnes incitant à la violence et de supprimer plus rapidement les contenus illégaux et sensibles. Cependant, ces mesures soulèvent des questions complexes liées à la liberté d'expression et à l'équilibre entre sécurité et droits fondamentaux. D’ailleurs, la suppression de contenus illégaux ou sensibles a fait l’objet d’une proposition (loi Avia de 2020) et a été jugée incompatible avec la liberté d’expression par le Conseil constitutionnel car disproportionnée et ne permettant pas l’intervention d’un juge pour qualifier ou ces contenus en ligne.
Enfin, bloquer complètement les réseaux sociaux a été jusqu’à maintenant l’apanage de régimes autoritaires, notamment l’Iran en 2022 après la mort de Mahsa Amini, la Turquie en 2014 à la suite de fuites sur Twitter impliquant R.Tayyip Erdogan (1er Ministre à l’époque) dans une affaire de corruption, ou la Chine qui bannit les réseaux sociaux depuis 2009.
Vers une régulation plus stricte des réseaux sociaux
Des évolutions devraient s’opérer avec l'entrée en vigueur le 25 août prochain du Digital Services Act au sein de l'Union européenne. Dans un délai d’un an, il obligera les plateformes à supprimer les contenus qui enfreignent la loi et à suspendre les utilisateurs qui publient ces contenus illégaux. Les plateformes devront renforcer leurs moyens techniques et humains pour une modération plus rapide et transparente, tout en étant soumises aux contrôles de la Commission européenne avec des amendes possibles jusqu’à 6% de leur chiffre d’affaires.
Les réseaux sociaux n’opèrent pas une sortie du réel, ils l’amplifient, avec tous les effets pervers et positifs que cela peut engendrer. Opposer le réel à ce qui se présente sur les réseaux sociaux laisse supposer l’existence d’une réalité parallèle et autonome – une bulle sociale avec des comportements nés sur ces plateformes - dont nous serions tous dépossédés, alors même que la réponse se trouve très certainement dans une responsabilisation individuelle et collective.
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