L’uniformisation des réseaux sociaux peut-elle accélérer leur perte ?

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Connaissez-vous BeReal ? C’est LE réseau social qui monte depuis quelques mois. Le concept est simple : chaque jour, à une heure aléatoire, l’utilisateur reçoit une notification push de l’application. À partir de ce moment, celui-ci a 3 minutes pour se prendre en photo. Cette dernière capture simultanément l’avant et l’arrière du téléphone (le visage est donc visible en mode selfie + ce qui se trouve devant la personne). C’est un moment « brut » de sa journée. Une photo par jour maximum, sans filtre, sans artifice, sans possibilité de choisir le timing qui vous arrange et sans le temps de se mettre en scène. Si l’application BeReal connait ce succès, c’est parce qu’elle a littéralement pris le contre-pied de toutes les autres plateformes sociales.

Et pourtant… Fin août, Instagram travaillait déjà au développement d’une fonctionnalité similaire. Un peu plus tard, Snapchat annonçait faire de même et il y a quelques jours, TikTok s’y mettait également avec le lancement prochain de TikTok Now, qui reprend exactement la même mécanique. Est-ce du vol ? Du plagiat ? La pratique n’est pas nouvelle dans le secteur. En son temps, Instagram a lancé les stories devant le succès de Snapchat, puis les reels pour copier TikTok, Twitter a lancé les Spaces après le succès de Clubhouse et ainsi de suite. Pourquoi les réseaux sociaux copient systématiquement ce qui commence (vaguement) à fonctionner ailleurs ?

Quelle est la stratégie, la vision de l’entreprise ? Y’a-t-il d’ailleurs encore une stratégie ? La plupart des réseaux sociaux s’étaient démarqués à leur lancement avec une promesse simple et originale : Facebook permettait de garder contact avec ses amis, Instagram offrait la possibilité de se créer une sorte d’album photo quotidien, Snapchat permettait de se montrer sous un jour plus naturel et spontané, etc. Les utilisateurs avaient une vision assez claire de ce qu’ils pouvaient trouver sur chaque plateforme, la plupart étant souvent complémentaires les unes des autres.

Cependant, à force de « s’enrichir » de nouvelles fonctionnalités, de nouvelles options, à force de vouloir séduire le plus d’utilisateurs possibles et d’avoir peur de rater le train de la prochaine hype, certaines plateformes se sont complètement dénaturées, avec un taux de réussite pourtant discutable. Combien d’évolutions ont été abandonnées en cours de route ? Combien de fonctionnalités offertes sans cohérence ont fait un bide ? Qui a déjà posté des stories sur Facebook (disparues depuis) ? Qui a déjà utilisé l’onglet Shopping d’Instagram (bientôt supprimé) ? Qui se souvient de l’appli Lasso de Facebook ou de l’IGTV ? Sans oublier, plus récemment, le changement d’interface d’Instagram qui a provoqué la colère des utilisateurs et a obligé la plateforme à faire marche arrière.

Si, comme pour n’importe quelle entreprise, s’adapter, se développer, prendre en considération l’évolution des besoins et envies de ses clients est normal, parfois, les choix interrogent. Ainsi, par peur de TikTok, Instagram était prêt à remettre complètement en question son identité. Il en est de même avec BeReal, qui va certes entraîner un changement moins important (ça ne sera qu’une fonctionnalité de plus), mais qui, du point de vue de l’image, parait être un choix incohérent, si ce n’est absurde tant les deux applis ont des promesses opposées. Faire signe d’une telle fébrilité dès qu’une nouvelle application fait un peu parler d’elle n’envoie pas un signe très rassurant sur la façon dont sont gérées ces entreprises. On imagine mal Coca-Cola changer sa recette ou sa stratégie de communication dès qu’une nouvelle marque de soda grappille quelques parts de marché.

La suprématie de ces quelques plateformes est telle que la probabilité d’une chute brutale et imminente est faible. Néanmoins, entre les polémiques sociétales et ces mauvais choix, certaines plateformes mettent à mal leur capital sympathie et menacent d’elles-mêmes leur futur. Quelle est l’image de Facebook auprès de l’opinion, et notamment des plus jeunes, aujourd’hui ? Quelle sera celle d’Instagram dans quelques mois si ces changements perpétuels et peu compréhensibles continuent ? Comment convaincre les futures générations de s’inscrire sur une plateforme qui n’a pas une promesse claire et originale ? Les futurs internautes, non contraints par la force de l’habitude, préféreront sans doute explorer et s’approprier des territoires originaux plutôt que de rejoindre ces mastodontes qui proposent la même chose que leurs voisins et accumulent les fonctionnalités plus ou moins utiles et abouties.

Pour les marques aussi, ces évolutions permanentes interrogent. Évidemment, il est impossible, aujourd’hui, d’imaginer se priver de tels canaux de communication et d’une telle audience. Et même si les entreprises fournissent les revenus publicitaires des plateformes, elles restent tributaires de ces dernières et de leurs choix. Il est alors parfois difficile d’établir des stratégies éditoriales sur la durée quand tous les six mois, les plateformes évoluent, proposent de nouvelles fonctionnalités, modifient leur algorithme pour privilégier tel format ou tel type de contenus. Cela peut donner l’impression de vouloir construire sur des fondations instables. Cependant, les réseaux sociaux ne sont qu’un outil au service des messages et des prises de parole des marques. Si le parti pris éditorial est fort et pertinent, peu importe, in fine, les évolutions des plateformes, le message continuera à faire effet. Il faudra juste réussir à le transmettre au bon endroit et au bon moment.

Démarre alors un numéro d’équilibriste où il est nécessaire de s’adapter à ces changements perpétuels des plateformes sans se trahir ou tout remettre en question. Plus que jamais, les marques « gagnantes » seront celles qui arriveront à s’en tenir à leurs stratégies de départ, à définir des lignes éditoriales sur le long terme et rester fidèles à leurs idées. Celles qui réussiront à ne pas s’éparpiller, à ne pas se jeter sur chaque nouveauté sans réfléchir aux objectifs correspondants et aux besoins de leurs cibles.

Un vrai défi pour que, contrairement aux réseaux sociaux, les marques continuent de surprendre par leur pluralité, leur inventivité et leur longévité.

(Les tribunes publiées sont sous la responsabilité de leurs auteurs et n'engagent pas CB News).

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