"Visa pour l'image est un média à part entière" - Pierre Conte
Rencontre, à Perpignan, avec Pierre Conte, président de l'association Visa pour l'Image.
Vous avez été nommé président bénévole de l’association Visa pour l’Image de Perpignan en avril dernier. Quelles sont vos ambitions dans ce nouveau poste ?
Pierre Conte : Ma mission est de m'appuyer et préserver sur tout ce qui a été fait auparavant. Nous pouvons considérer que Visa pour l'Image est un média à part entière. Mon premier rôle – et je l'assume – est de trouver plus de ressources pour l’association. Si on avait plus de ressources, qu'est-ce qu'on aurait envie de faire ? On peut le voir sous trois axes. Le premier consiste à donner plus de moyens à Jean-François Leroy, fondateur de l’association Visa pour l’Image. L’ambition est de rendre le festival, à Perpignan plus spectaculaire, avec des surprises en faisant toujours mieux. Il s'agit d'améliorer ce que nous faisons déjà ici à Perpignan. Le deuxième sujet concerne ce que j’appelle le rayonnement de Visa pour l'Image. Nous devons alors travailler sur notre empreinte digitale, faire tourner nos expositions et organiser des projections ailleurs. Le festival est à Perpignan, mais tout le monde ne peut pas se rendre sur place. Enfin, le troisième axe est de consacrer davantage de moyens à la médiation pédagogique. Actuellement, nous sensibilisons 30 000 élèves par an, mais pourquoi ne pas viser 100 000 ?
Depuis le début de votre carrière, vous avez évolué dans le monde des médias et de l’édition. Que signifie pour vous cette nomination ?
Pierre Conte : J'ai eu une vie professionnelle passionnante. J'ai adoré tout ce que je faisais. J'estime avoir eu beaucoup de chance là-dessus. Si j'essayais de synthétiser ce qu'avait été ma vie professionnelle : c'est de travailler avec des gens qui créent du contenu original et de s'assurer qu’il soit pérenne. Cela étant, je suis dans une période de ma vie où je ne suis plus dans une grande entreprise, cadre ou patron. Je suis indépendant et donc j'ai quelques activités bénévoles comme celle-ci. J'amène mon expérience et ma vision, plus que mon carnet d'adresse. Mon « job » est de mettre en situation les gens qui font le festival et l’éditorialisent afin de les mettre dans les meilleures conditions possibles. Notre mission citoyenne est la défense du photojournalisme. Cette partie du journalisme est évidemment un métier sous pression, parce que les médias ont moins de moyens. Et il existe aussi une vague de fake news avec maintenant la menace d'une intelligence artificielle non encore contrôlée. Le métier est sous pression et nous sommes la vitrine du métier.
Pour vous, qu’est-ce que représente le festival Visa pour l’Image ?
Pierre Conte : Le festival a été créé pour célébrer les photojournalistes. Il y a 35 ans, les photojournalistes - ils le sont toujours - étaient des grandes stars. Les médias et notamment la grande presse quotidienne mondiale produisaient. Le festival était aussi une place de marché où les journalistes venaient rencontrer les agences, les grands médias, etc. Aujourd'hui, nous sommes dans la défense du métier. La défense, « ce n'est pas sauver Willy » c'est faire comprendre l'importance cruciale de l'information. Aujourd’hui, moins de 40 pays ont un système d'information libre. Nous sommes ensevelis par la manipulation sur les réseaux de fake news. L’information n’est jamais vérifiée, ce qui est le travail, normalement des organes d'information, dignes de ce nom. Jamais l'information vérifiée n'a été aussi vitale au développement du sens critique et à la démocratie. Or il est vraiment sous menace. Et bien entendu, il y a des images qui ont changé l'histoire. Ce sont toutes des images vérifiées qui témoignent de la vérité. Cela est donc notre mission.
C’est votre première édition en tant que président. Quels sont vos objectifs ?
Pierre Conte : Mon premier objectif est de comprendre et de découvrir. Avant de porter des jugements. Même si je suis un garçon souvent pressé, je suis plus dans l'observation et la compréhension. Finalement, président de l'association, c'est presque un job de publisher dans un média. L’idée est de faire un projet commun sur lequel tout le monde s’accorde.
Que peut-on attendre de ce festival ?
Pierre Conte : Il existe deux publics distincts. Le premier est un public professionnel qui s’est rendu au festival durant la semaine du 2 au 7 septembre. Pendant ces sept jours, l'événement prend presque l'allure d'un salon professionnel. Il est essentiel de mentionner que notre grand partenaire, Canon, qui nous soutient depuis le début, s'adresse aux professionnels de la photographie. Le second public est le grand public, auquel s'adresse également le festival à travers une médiation pédagogique où on estime 200 000 visiteurs. Nous pensons qu'il est important de sensibiliser le grand public, chaque citoyen, peu importe son niveau de revenu ou d'éducation. Cette sensibilisation se fait à travers le festival mais aussi à travers des activités pédagogiques, conférences et visites dans les écoles. C'est paradoxal, car les photographes présents sont des professionnels très engagés, souvent porteurs de causes liées à la liberté d'information, et ils sont heureux que ces sujets soient mis en débat. Cela dit, il est vrai que nous pourrions débattre de l'idée de la gratuité du festival. Si nous faisons payer l’entrée, cela améliorerait peut-être notre budget. Ou pas. Notre festival a toujours été gratuit et nous n'envisageons pas de le changer. D'autres grands festivals de photographie dépendent principalement des revenus générés par la billetterie, et je dis cela avec beaucoup de respect. Mais ici, nous avons un ADN différent.
Qu’est-ce que représente pour vous le photojournalisme ?
Pierre Conte : Le photojournalisme est du journalisme par l'image qui témoigne de la vérité. Après cela passe par des grands médias qui le prennent et qui le mettent à disposition. Il est horrible de se définir comme cela mais nous sommes l’anti-fake news. La vraie photo est d’aller sur le terrain. Commandée par le Figaro magazine, l’exposition sur la tranq est formidable. Le retour du témoignage est très fort. Cela est sa fonction comme un journaliste effectue un travail d’investigation. En effet, le rôle des grands journaux est de faire du fact-checking. Ce que nous vous disons a été vérifié.
Aujourd’hui, de plus en plus de médias décident de supprimer les postes de photographes. Que pensez-vous de cela ? Et comment se positionne le festival à ce sujet ?
C’est implacable. Non seulement, nous avons sans doute une suppression de postes de photojournalistes, de photo-reporteurs, staff, des salariés, mais on voit aussi disparaître les postes directeurs de la photographie. C’est une menace. Nous sommes vraiment dépendants de la santé des grands médias. Les meilleurs grands quotidiens nationaux ont réussi leur transformation digitale et recommencent à recruter des journalistes. La clé de la survie est la puissance en nombre et en qualité de la rédaction dans laquelle la photographie joue un rôle. Ne soyons pas défaitistes. Nous venons de passer 20 ans où beaucoup d'organes de presse ont disparu. Nous essayons de mettre en avant ce qui existe.
La photographie est un puissant moyen de sensibilisation. Avez-vous une exposition préférée ? Selon vous, quelles sont les images marquantes de cette année ?
Pierre Conte : Je réponds en tant que citoyen lambda et non en tant que président. L'exposition d'Emilio Morenati, à l'église des Dominicains, aborde de grands conflits. Il a aussi traité des sujets que je qualifierais presque de "domestiques", notamment le Covid à Barcelone. On y voit une photo magnifique où deux petits enfants se tiennent au-dessus d'un mur. Une autre image, moins typique de ce qu'on voit à Visa pour l'Image, date de 2021, après l'éruption du volcan aux îles Canaries. Elle donne l'impression d'une peinture. Je trouve cette exposition absolument magnifique. Une deuxième exposition, un peu atypique mais tout aussi belle, est celle du photographe Jean-Louis Fernandez, qui a capturé en noir et blanc les comédiens de la Comédie-Française. Il y a quelque chose d'incroyable dans cette série. Si on ne fait pas attention, on pourrait presque croire qu'un photographe était présent à l'époque de Molière. Dans les coulisses, on les voit fatigués, se démaquiller, rire ou jouer aux cartes avant ou après une représentation. C'est une série esthétiquement très belle.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes photographes et vidéastes qui aspirent à faire carrière dans le domaine du photojournalisme aujourd'hui ?
Pierre Conte : Pour moi, les photojournalistes sont des créateurs. Quand ils ont effectué un travail, il faut absolument - et sans se désespérer - l'envoyer. Ici, c'est une bonne adresse. N'importe quel photojournaliste devrait envoyer son travail à Visa pour l'Image. Même s’il y a un refus : « We never know. Il a essayé, il n'y a rien à perdre ». Pendant cette édition, nous avons distribué 193 000 € à des photographes pendant la semaine avec les prix et les dotations. Par ailleurs, je n'ai aucune légitimité à parler de ce sujet. Je suis en train d'essayer de m'acculturer, même de me mettre à niveau sur ce sujet.
Avez-vous un dernier mot à ajouter ?
Pierre Conte : Visa pour l'Image, on le comprend quand on y vient. Donc, il faut venir une fois. Si on se dit intéressé par la liberté de l'information.