Edouard Coudurier (Le Télégramme) : « notre objectif est d’atteindre 180 millions de CA en 2022 »
S i ces deux dernières années la crise sanitaire a marqué durement les résultats financiers de la presse, l’heure est aujourd’hui à la fois à la reconquête et aux nouvelles ambitions. Edouard Coudurier, le président du groupe Le Télégramme, entend poursuivre ce nouveau souffle, tout en ne cachant pas son inquiétude face à des plateformes qui voudraient dicter leurs lois. Interview.
CB News : Qu’est-ce que le groupe Télégramme aujourd’hui ?
Edouard Coudurier : Ce qui nous caractérise, c’est l’indépendance. Dans ce que nous sommes capitalistiquement, économiquement… Et dans notre façon de faire. Avec cette idée de poursuivre notre propre stratégie sans regarder celle des autres. Une stratégie donc adaptée à ce que nous sommes et, bien sûr, à nos moyens.
CB News : Comment êtes-vous organisé ?
Edouard Coudurier : Le groupe Télégramme ce sont trois activités bien distinctes : D’abord les Médias avec le quotidien Le Télégramme, nos deux TV locales (Tébéo et TébéSud), un magazine (Le Mensuel de Rennes), notre régie publicitaire Viamedia et une agence de communication Rivacom ; Ensuite, notre branche Emploi-Recrutement et de formation avec la marque Hellowork (RégionsJob, Paris Job, Cadreo, MaFormation, Diplomeo, etc.) qui est amenée à prochainement beaucoup communiquer ; Enfin, l’événementiel avec d’un côté un volet sportif qui organise des courses au large telles que La Route du Rhum, La Solitaire du Figaro, The Transat CIC. Et de l’autre, un volet musical avec des tels que Les Francofolies ou encore Le Printemps de Bourges.
CB News : Que représente financièrement le groupe Télégramme ?
Edouard Coudurier : En 2021, nous avons réalisé 160 millions € de chiffre d’affaires. L’EBITDA s’est élevé à 16 millions € et notre résultat net à 19 millions €. Nous faisons évidemment bien mieux qu’en 2020, crise sanitaire oblige, où nous avions réalisé 140 millions € de CA avec une partie événementielle quasiment à l’arrêt. Côté publicité, nous avons connu également une baisse de 20% du CA publicitaire en 2020 puis une nette progression en 2021, entre +8% et +9%. Nous sommes depuis le début de l’année 2022 à +0,7% pour la publicité. Dans le détail, +9% en pub locale tandis que la pub extra-locale affiche un petit trou d’air sur les trois premiers mois de cette année comparée à la même période 2021 qui avait été très bonne. Je voudrais d’ailleurs ici saluer les très belles performances en 2020 et 2021 de la régie nationale de la PQR, 366, qui nous a permis d’un peu moins souffrir de nos résultats. Aujourd’hui, la publicité print représente tout de même environ 85% de notre CA publicitaire. Nous lancerons prochainement une nouvelle offre publicitaire digitale afin de booster cette partie du CA. Quoi qu’il en soit, notre objectif en 2022 est d’atteindre 180 millions € de chiffre d’affaires pour le groupe Télégramme.
CB News : Quels sont vos chantiers prioritaires pour 2022-2023 ?
Edouard Coudurier : Chacune de nos branches a des activités, des marchés et des situations très différentes. Sur la partie événementielle du groupe, je considère qu’il y a un terrain de jeu énorme, aussi bien en France qu’à l’étranger. Nous pouvons ainsi observer que beaucoup d’événements créés par des associations ou des petites structures, lorsqu’ils grandissent, atteignent vite leur limite. Elles ont besoin de s’adosser à des professionnels. Il y a des consolidations permanentes dans ces domaines. Et nous entendons y participer fortement, même s’il s’agit parfois d’investissements risqués. Il y a ici la nécessité de plutôt investir dans ce que j’appellerais les « gros événements » avec lesquels on peut gagner de l’argent.
Du côté de notre pôle Emploi avec Hellowork, le marché est porteur. La question se pose pour nous de continuer à croitre, et pas seulement en France, pour rester dans le match contre les groupes mondiaux spécialisés. Hellowork procède à une ou deux acquisitions par an, je souhaite poursuivre sur ce rythme-là.
Concernant la partie Média, nous allons engager une transformation numérique. La situation est complexe car l’on assiste à une dévalorisation de l’information. Faire payer à son prix véritable l’information auprès des jeunes publics, notamment, c’est compliqué. Nous développons tout ce qu’il est possible de développer, comme l’information chaude dans nos espaces web, la vidéo avec des contenus enrichis, etc. Sur le plan économique, nous n’avons pas encore trouvé la martingale qui nous garantirait la croissance des prochaines années. L’enjeu, il est là. Et c’est un enjeu de société qui dépasse largement notre problématique économique, face à des émetteurs d’information souvent gratuits.
CB News : L’abonnement numérique, à l’image de vos confères, est-il un axe de développement ?
Edouard Coudurier : Nous avons actuellement 15 000 abonnés numériques. Selon notre plan, nous en visons 30 000 à fin 2023. Je rappelle tout de même que 80% de la diffusion du Télégramme s’opère auprès d’abonnés.
CB News : Comment allez-vous procéder pour faire croitre ce nombre d’abonnés numériques ?
Edouard Coudurier : Ce que je peux dire, c’est que nous ne souhaitons pas nous engager dans le système adopté par certains de nos confrères avec le lancement d’offres d’appels dégradées en matière d’abonnement. Ce qui est à nos yeux de la folie furieuse. Chacun fait certes ce qu’il veut chez lui, mais nous considérons cela comme une fuite en avant pour récupérer une clientèle plus jeune. Ceux qui réussissent en la matière sont ceux qui font des offres décentes.
CB News : Début 2021 était créée, avec 366, la régie publicitaire de TV locales 366#TV. Peut-on d’ores et déjà faire un bilan ?
Edouard Coudurier : Effectivement, Le Télégramme s’était associé fin 2020 avec La Voix du Nord, Sud-Ouest et La Nouvelle République du Centre-Ouest afin de créer Territoires TV, une société destinée à produire une offre commune de contenus pour les TV locales. Dans ce cadre, une régie publicitaire a été créé en février 2021 sous la houlette de 366, baptisée 366#TV. Alors oui, le bilan est globalement positif même s’il est encore insuffisant. On le sait, la publicité est aujourd’hui essentiellement nationale, les centres de décisions des marques sont à Paris. Donc le CA de la pub nationale doit progresser encore. Le marché est très concurrencé, mais 366 bénéficie d’une force de frappe qui permet de combiner des offres en TV, web et print.
CB News : Le prix du papier est aujourd’hui un sujet crucial et une source d’inquiétude…
Edouard Coudurier : Bien sûr. Le prix a progressé de 100% en un an. C’est plusieurs millions d’euros de surcoût. Nous espérions une détente au second semestre, ce qui ne sera vraisemblablement pas le cas. Nous sommes fournis par Gramméo, un acheteur de papiers qui fournit une grande partie de la presse régionale et nationale. Heureusement que nous avons cette société au service de la presse. Si nos achats n’étaient pas mutualisés comme ils le sont, je ne suis pas sûr que nous réussirions à avoir ne serait-ce que du papier. Nous avons pour l’heure échappé à une pénurie. Nous nous organisons pour supporter ces coûts plus élevés. Nous avons récemment lancé une nouvelle machine, plus écologique, qui nous permet des gains (papier, encre, énergie, chimie, récupération de chaleur pour le chauffage et l’eau…). Nous évitons à tout prix de réduire nos tirages print ou nos projets de hors-série, ce qui serait la dernière chose à faire. Mais cette situation de la crise du papier nous a contraint à envisager pour la première fois un budget légèrement déficitaire pour 2022. Nous avons aussi augmenté le prix du quotidien en le passant de 1,10 € à 1,20€ en semaine et à 1,30 € le week-end.
CB News : La signature récente par le secteur de la presse avec Google et Facebook d’un accord sur les droits voisins est-elle une satisfaction ?
Edouard Coudurier : Cette bagarre a été bien menée par l’Alliance de la presse d’information générale qui nous représentait. L’accord obtenu est certes imparfait, mais malgré tout c’est une première pierre. Il y a encore quelques modalités à finaliser. Il s’agit de la juste reconnaissance d’un droit, d’un principe. Et un reversement qui ne couvre qu’imparfaitement tout ce que les GAFAM retire de nos contenus. Plus globalement, cette situation complexe me semble dangereuse, malgré l’accord. Nous nous retrouvons petit à petit à rentrer dans le moule et dans des règles fixées par les grands acteurs mondiaux. Ce qui n’est pas uniquement dangereux pour la presse mais aussi pour la diffusion en France d’une information indépendante, vérifiée et variée, nécessaire à la circulation des idées et à la démocratie. C’est extrêmement grave. L’accord des droits voisins n’est à mes yeux qu’une étape dans une prise de contrôle générale de l’information par les plateformes numériques. A nous, aussi, de produire une information pertinente, rigoureuse, attrayante, abordable, de la promouvoir et de faire en sorte que nos contenus soient inattaquables. Quoi qu’il en soit, les conditions économiques de fonctionnement d’une presse indépendante sont de plus en plus difficiles.