L’Amérique marche sur des œufs

oeufs

Exclu : l'analyse et les prévisions de Vincent Létang de Magna (IPG Mediabrands) sur le marché pub US.

Depuis deux mois, investisseurs, consommateurs et marques sont tétanisés par le risque d’un retour de l’inflation, qui pourrait entraîner un fort ralentissement des dépenses publicitaires dans les grands médias.

Magna vient de mettre à jour ses prévisions pour le marché publicitaire américain basées sur l’évolution de l’économie réelle mais aussi sur la perception des acteurs au cours des trois derniers mois. En décembre, l’inflation était sous contrôle, les taux d’intérêt avaient commencé à baisser, et les économistes prévoyaient une croissance du PIB de 2,4 % pour 2025. Trois mois plus tard, la confiance des entreprises, des investisseurs et des consommateurs s’est brutalement détériorée.

Dès fin janvier, l’incertitude liée à la politique commerciale du nouveau gouvernement a provoqué une lourde chute des marchés financiers, affectant classiquement la confiance des ménages, dont 60 % détiennent une partie de leur épargne en bourse. Mais c’est l’ampleur du choc de confiance qui m’a personnellement surpris : l’indice de confiance des ménages est passé de 74 en décembre à 58 en mars, un niveau proche du record historique de 50 atteint en 2022 lorsque l’essence avait atteint 5 dollars le gallon après l’invasion de l’Ukraine.

Comment expliquer un tel retournement de la confiance des ménages ? Réponse : les œufs. En février, la douzaine d’œufs non biologiques a atteint un record de 6 dollars, doublant en un an. Pour de nombreux consommateurs, c’était le signe du retour d’une inflation alimentaire à deux chiffres, comme celle qui avait traumatisé l’Amérique en 2022. En réalité, cette flambée des prix n’a rien à voir avec la politique de Trump ou l’évolution générale des prix mais s’explique par l’épidémie de grippe aviaire. Par ailleurs, l’inflation alimentaire est restée limitée à 3 % sur les deux derniers mois. Toutefois, si 60 % des Américains se sentent plus pauvres quand la bourse chute, 100 % consomment des œufs et paniquent en voyant les prix doubler et les rayons se vider. De nombreux sociologues et économistes ont souligné la portée symbolique disproportionnée des œufs : ils représentent moins de 0,1 % des dépenses des ménages, mais font partie intégrante du petit-déjeuner, un symbole du mode de vie américain et de l’appartenance à la classe moyenne.

La guerre commerciale peut encore être évitée et les prix dans les supermarchés ne flambent pas, mais malgré des fondamentaux économiques enviables au début de l’année (inflation maîtrisée à 3 %, chômage à 4 %, entreprises profitables), l’anxiété soudaine des agents économiques pèse déjà sur l’économie réelle. MAGNA prévoit une contraction du PIB au premier trimestre et une prudence accrue en matière d’investissements et de dépenses marketing pour les mois à venir. Cette incertitude pourrait entraîner des gels ou des coupes dans les budgets publicitaires, en particulier dans les secteurs les plus vulnérables, dont les coûts de production dépendent des importations et où toute inflation est immédiatement visible pour les consommateurs. En première ligne : les biens de grande consommation (alimentation, boissons, hygiène), la restauration rapide et l’automobile.

Un exemple frappant : le PDG de Coca-Cola a déjà averti ses actionnaires que l’entreprise pourrait devoir remplacer des millions de canettes en aluminium par des bouteilles en plastique pour limiter l’impact de la taxe de 25 % sur l’aluminium sur les couts de production. Si les coûts des matières premières grimpent comme en 2022, cela placera de nouveaux les marques face à ce dilemme : répercuter la hausse sur les prix, au risque de perdre des parts de marché, ou accepter une baisse temporaire des marges et des profits. Dans les deux cas, les dépenses et investissements, et notamment les budgets publicitaires risquent d’être réduits de manière préemptive pour protéger la profitabilité.

 Malgré cette incertitude, certains secteurs comme la pharmacie, le commerce, la tech (boostée par la concurrence autour de l’IA) et la finance resteront dynamiques, car moins sensibles aux coûts mondiaux. L’innovation dans les médias et la publicité (retail media, AVOD sur les TV connectées) continue également de renforcer l’efficacité des médias traditionnels.

Au total, les investissements publicitaires ralentiront nettement cette année : +4,3 %, contre +12,3 % en 2024, pour flirter avec la barre des 400 milliards de dollars ($396 milliards). Mais MAGNA s’attend à de forts contrastes selon les médias.

 Les revenus publicitaires des pure players (Google, Meta, Amazon, Spotify) progresseront encore de près de +10 %, atteignant 293 milliards de dollars. La publicité sur les moteurs de recherche et le retail media augmentera de +10 % (167 milliards de dollars), tandis que les réseaux sociaux croîtront de +11 % (92 milliards de dollars).

 Les médias traditionnels (TV, radio, presse, affichage) risquent de souffrir d’avantage, car en période d’incertitude certains annonceurs privilégient les canaux "lower funnel" (proches de l’acte d’achat, digitaux et mesurables) au détriment des campagnes de marque "upper funnel". Les revenus publicitaires non cycliques des médias traditionnels devraient reculer de -1 % à 103 milliards de dollars. Mais en incluant les recettes cycliques (qui avaient explosé en 2024 avec les élections et les JO, mais seront quasi nulles en 2025), le marché pourrait chuter de -7 %. Le streaming premium (Hulu, Disney+, Netflix, Peacock, Prime), en pleine croissance, échappera à cette tendance et devrait atteindre 12 milliards de dollars, représentant 27 % des revenus publicitaires de la télévision telle que la définit désormais Magna.

Previsions Magna US mars 2025

Vincent Létang

Directeur worldwide des études et de la prévision pour l’agence MAGNA (IPG Mediabrands) et résidant à New York depuis 13 ans, Vincent Létang nous apporte le témoignage d’un Français sur les médias et la publicité aux Etats-Unis.

Vincent Letang Magna Mediabrands

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