Les défis économiques et écologiques de la révolution de l’intelligence artificielle

Frédéric Jutant

Une tribune de Frédéric Jutant, responsable marketing chez Icarus Media Digital.

L’intelligence artificielle générative est une avancée technologique sans précédent. Elle fascine les utilisateurs sur ses capacités mais soulève aussi des questions importantes car elle mobilise d’immenses ressources financières et énergétiques. Son modèle économique peut-il se stabiliser et devenir rentable ? Son empreinte écologique est-elle compatible avec la transition énergétique nécessaire face au changement climatique ? Est-ce que les usages vont continuer d’évoluer et s’éloigner des moteurs de recherche que l’on connaît aujourd’hui ?

A l’heure où ce virage technologique semble de plus en plus irréversible, toute la question de savoir si l’humanité a les moyens d'adopter cette révolution technique face aux impératifs environnementaux et de rentabilité.

Un modèle économique sous tension

L’engouement pour l’IA générative a propulsé OpenAI au rang des plus grandes entreprises tech mondiales. L’ensemble de son modèle économique repose pourtant en grande partie sur des attentes de croissance et de retour sur investissement qui semblent peu atteignables pour l’instant. OpenAI dépense en effet jusqu’à 700 000 dollars par jour pour faire tourner la plateforme ChatGPT et maintenir ses infrastructures opérationnelles. Une somme astronomique qui met en lumière une difficulté majeure : l'IA générative coûte cher, très cher. Et les prévisions montrent que ses pertes pourraient tripler d’ici 2026 pour atteindre 16 milliards de dollars. En 2024, alors que l’entreprise générera environ 3,7 milliards de dollars de revenus, les pertes pourraient avoisiner 5 milliards de dollars, chaque dollar de revenu lui coûtant 2,35 dollars de dépenses. Ce déséquilibre questionne la viabilité du modèle économique actuel. 73% des revenus d’OpenAI proviennent des abonnements payants et les 27% restants correspondent aux revenus de licences d’utilisation de leurs LLM par des entreprises. Cette dépendance excessive aux abonnements expose la société à une vulnérabilité de taille : elle doit réussir à transformer suffisamment d’utilisateurs gratuits qui siphonnent actuellement ses revenus pour tripler son nombre d’abonnés payants. 

La pression pour lever de nouveaux fonds devient aussi un obstacle. La levée récente de 6,6 milliards de dollars, valorisant l’entreprise à 157 milliards de dollars, est une prouesse en soi. Mais jusqu’à quand les investisseurs continueront-ils d’injecter des capitaux sans retour financier tangible ? Avec des dépenses aussi massives, le retour sur investissement est-il réalisable dans un horizon suffisamment court pour intéresser les marchés financiers ? Contrairement à Alphabet, Meta ou Elon Musk avec xAI, OpenAI n’a pas les reins aussi solides et devra atteindre des niveaux encore plus élevés pour financer sa croissance et satisfaire ses investisseurs, potentiellement 200 milliards de dollars lors des prochains tours de table. Cette situation soulève des doutes sur la capacité d'une entreprise qui subit de telles pertes à entrer en bourse, un passage obligé pour garantir la rentabilité des investisseurs. 

Une empreinte écologique préoccupante

Au-delà du business model, l’IA générative et la sophistication des modèles de langage reposent sur des infrastructures énergivores. Selon des estimations, le modèle GPT-4 d’OpenAI consomme jusqu’à 3 bouteilles d’eau pour générer 100 mots, illustrant le besoin énergétique colossal des centres de données nécessaires au bon fonctionnement de ces technologies. Les géants américains doivent recourir à des centrales nucléaires pour soutenir cette demande énergétique. Microsoft a ainsi réactivé une centrale nucléaire, tandis que Google s’est engagé avec la start-up Kairos Power pour alimenter ses centres de données via des réacteurs modulaires. 

Si l'énergie nucléaire peut assurer une stabilité, son déploiement intensif alourdit la balance carbone des entreprises, comme en témoigne l’augmentation des émissions de CO₂ de 29 % chez Microsoft depuis 2020. Plus généralement, ces initiatives montrent un problème plus large : les infrastructures actuelles ne suffisent pas à répondre à la demande sans une source énergétique conséquente. L'Agence internationale de l'énergie prévoit un doublement de la demande énergétique des centres de données d'ici 2026. Ce paradoxe menace les objectifs écologiques globaux si des solutions plus vertes et moins coûteuses ne sont pas mises en place. À l’heure où le GIEC préconise la sobriété énergétique, l'IA semble aller à contre-courant des objectifs climatiques en exigeant une production d'énergie inédite et difficilement tenable sans transition radicale. Est-il possible de faire coexister l'innovation de l’IA avec la réduction de l'empreinte carbone ?

Transformation des usages

L’arrivée de l’IA transforme également les habitudes de recherche : 250 millions de personnes utilisent ChatGPT. Les utilisateurs, et particulièrement les jeunes, ont des attentes plus immersives et interactives qu’auparavant. Aujourd’hui, 40 % préfèrent TikTok ou Instagram à Google pour rechercher un restaurant, et les recherches de produits démarrent de plus en plus sur Amazon (63 % des cas).

Les nouveaux outils d'IA, tels que Google Gemini, AI Overviews, Search GPT ou encore Perplexity, offrent des réponses directes, rapides, et changent le parcours utilisateur tout en intégrant la publicité de manière innovante. Bien que ces nouveaux usages soient encore limités par rapport au nombre de recherches global, cette diversification pourrait bien bouleverser à terme le modèle économique bien huilé des moteurs de recherche comme Google ou Bing. Il sera difficile de revenir en arrière.

Les professionnels du marketing digital doivent donc suivre de près ces tendances pour ajuster leurs stratégies d’acquisition et adopter une approche plus multicanale afin de fidéliser et capter l’attention d’un public dispersé entre plusieurs plateformes.

IA, rentabilité et transition écologique : une convergence possible ?

Le développement de l’IA générative se heurte à des impératifs contradictoires : d’un côté, elle nécessite des investissements gigantesques et une consommation énergétique exponentielle ; de l’autre, elle bouleverse les modèles d’usage et de monétisation. Les objectifs de rentabilité d’OpenAI et des autres acteurs de l’IA dépendent d’un financement stable et d’une base d’utilisateurs payants en forte croissance, ce qui est difficilement compatible avec une expansion raisonnée sur le plan écologique mais aussi des habitudes des utilisateurs par rapport à la gratuité des moteurs de recherche traditionnels.

L’IA peut toutefois être un levier pour le développement de technologies énergétiques alternatives, telles que les réacteurs nucléaires modulaires et d’autres sources d’énergie moins polluantes. En retour, ces innovations pourraient garantir l’approvisionnement énergétique nécessaire au déploiement massif de l’IA. Cependant, la course actuelle à l’IA exige des solutions immédiates qui risquent de court-circuiter les impératifs écologiques. L'humanité dispose-t-elle des moyens économiques et de la volonté écologique d’intégrer l'IA en évitant des compromis désastreux pour l'environnement ?

Le futur de l’intelligence artificielle : entre innovation, rentabilité et transition écologique

L’intelligence artificielle générative s’impose comme une révolution aux bénéfices potentiels multiples, mais elle repose sur un équilibre précaire entre rentabilité, sobriété énergétique et adaptation des usages. Alors que les investissements massifs s’intensifient, les défis écologiques et économiques de cette technologie font émerger une question cruciale : les infrastructures et les ressources actuelles sont-elles prêtes pour une telle expansion ? L'avenir de l'IA pourrait dépendre d'innovations énergétiques durables et d'une redéfinition de la rentabilité, faute de quoi le coût de cette révolution pourrait bien excéder ses bénéfices pour la société et l’environnement.

Frédéric Jutant est responsable marketing chez Icarus Media Digital.

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