Déconnectez, respirez, performez

dentsu

Quand dentsu X imagine demain, quatrième épisode…

Cet exercice de design fiction, réalisé par dentsu X, a pour ambition d’analyser comment les signaux faibles de notre société pourraient la faire évoluer s’ils devenaient la norme dans vingt ou trente ans. Cet exercice n’a pas vocation à prédire l’avenir, mais plutôt à comprendre comment les marques pourraient s’adapter, voire jouer un rôle dans ces éventuelles transformations ?

En 2035, il a été établi que les Français passaient en moyenne 70 heures par semaine devant leurs écrans, dont 40 heures pour des raisons professionnelles. Ces nouvelles habitudes ont considérablement contribué à dégrader la santé physique, psychologique et cognitive des travailleurs, et conduit à une chute globale de la productivité des entreprises. 

Et si, demain, la véritable mesure de la performance des entreprises résidait dans leur aptitude à offrir à leurs employés une réelle capacité de déconnexion des outils numériques ?

8h50, lundi 16 avril 2038.

En ce début de printemps, la chaleur avait déjà commencé à emplir les rues de Paris. Le bulletin météo de ce matin prévoyait un temps clair et 24°C dans l’après-midi. Un vrai temps d’avril. Depuis plusieurs années maintenant, chacun avait troqué ses manteaux de mi-saison pour les robes et t-shirts dès les derniers jours de mars.

Ce matin-là, j’étais arrivé un peu plus tôt au bureau que d’habitude. Après avoir installé mes affaires à mon poste de travail, je passai par la machine à café. Cloé et Ruben étaient déjà arrivés eux aussi. On discuta de nos week-ends, de l’actualité, de la semaine à venir.

Alors que j’étais en route vers mon espace de travail, les yeux vissés à mon Pad, lisant frénétiquement les premiers mails de la journée, je marquai un temps d’arrêt. 9h10. Il était encore tôt. Et si avant d’attaquer ma journée, je tentais un petit détour par la Disconnect Room de mon étage ? Par chance, elle serait peut-être libre ? Quelques minutes plus tard j’étais devant la porte 12.A. Bingo ! Je passai le sas, déposai mon téléphone dans la petite boite prévue à cet effet, puis je pénétrai dans cette bulle de déconnexion. Je refermai la porte derrière moi. On se serait cru dans une cabane perchée dans les arbres. L'odeur apaisante de bois ciré et de plantes fraîches contrastait avec l'agitation habituelle de l’open space. Très subtilement, on percevait des bruits de feuillages, d’oiseaux et d’insectes. Pas d'écran, pas de clavier qui cliquetaient, juste un espace feutré avec des fauteuils en lin beige, des tables en bois brut, et un panneau où l'on pouvait lire : "Déconnectez-vous pour mieux vous reconnecter." Après une dizaine de minutes, je retournai à mon bureau et commençai la journée. Je me sentais bien, apaisé. Depuis leur installation en début d’année dernière, j’avais pris l’habitude de m’octroyer des instants de pause dans ces bulles. Je dois bien admettre qu’au départ je doutais un peu de leur utilité, mais mes collègues avaient fini par me convaincre d’essayer. Aujourd’hui, je ne pourrais plus m’en passer.

À partir des années 2010, les écrans avaient envahi progressivement nos environnements et avaient entraîné une dégradation progressive de nos corps. Les journées passées sous les néons, devant nos écrans bleutés avaient généralisé l’apparition de divers troubles. Dès les années 2020, les problèmes oculaires furent si répandus qu'on ne s’étonnait plus de voir des collègues porter des lunettes aux verres teintés pour soulager leurs yeux. La sédentarité et le télétravail exacerba l'obésité, et beaucoup arboraient désormais une posture voûtée, les épaules tombantes, résultat malheureux des longues heures passées à fixer un écran. Et ces transformations physiques n'étaient que la surface d'un problème plus profond : une dépendance quasi totale aux réseaux et aux technologies. Alors, sous la pression des autorités sanitaires et des employés eux-mêmes, les entreprises avaient commencé à réaliser les limites de cette hyperconnexion. Incapacité à résoudre des problèmes complexes sans recours immédiat à une recherche en ligne ou à un outil automatisé, manque de créativité, uniformisation des idées, fatigue psychologique, vague d’arrêts de travail et de burn-outs… autant de problèmes auxquels le monde professionnel d’aujourd’hui devait faire face.

Devant ce défi de taille, notre groupe décida de prendre les choses en main avec audace et pragmatisme. Et après une transformation radicale, l’entreprise obtint enfin le précieux sésame : la certification « Ability to disconnect ». Cette démarche avait nécessité une réorganisation en profondeur de l’entreprise, à commencer par une réécriture de nos statuts légaux, qui intégrèrent une nouvelle mission primordiale : garantir un soutien actif à la déconnexion des employés. L’idée était claire : offrir à chacun de véritables moments de rupture technologique, suffisamment longs pour permettre au cerveau de se ressourcer et de se remettre de la fatigue cognitive. En plus de renforcer notre attractivité en tant qu’employeur, cette initiative eut des effets immédiats et probants sur la santé mentale et physique de nos équipes. Moins d’épuisement, plus de clarté d’esprit et, en fin de compte, une explosion de la productivité.

Le réaménagement de nos bureaux en fut l’un des symboles les plus frappants. Chaque étage se voyait doté d’une bulle de déconnexion, un espace sanctuarisé où les employés pouvaient s’échapper de l’agitation du monde numérique. Mais l’initiative ne s’arrêta pas là : l’entreprise engagea Claire, la « Chief Disconnection Officer ». C'était une femme d'une quarantaine d'années, dont le regard calme semblait contraster avec le dynamisme hyperconnecté de notre quotidien professionnel. Garante du bien-être des employés, elle organisait des temps d’échanges collectifs sur les bonnes pratiques à mettre en place pour une déconnexion efficace.

Dans la foulée, on nous présenta les « Disconnect Days », une petite révolution dans notre milieu. En plus de nos RTT, cinq journées furent désormais consacrées à la déconnexion, dans des lieux soigneusement choisis et agréés par l’Etat. Ces espaces en dehors de l’entreprise, qu’ils soient sportifs, culturels ou naturels, avaient en commun une absence totale de technologies modernes : pas d’écran, pas d’onde, juste la sérénité. Véritables sanctuaires, ils nous offraient une pause précieuse. Par chance, notre entreprise souhaita aller plus loin, et nous offrit la possibilité de transformer ces Disconnect Days en séjours familiaux, grâce à une offre CSE très avantageuse. Le partenariat avec le groupe « Quiet & Slow » permettait en effet à tous les salariés de séjourner en famille, et à moindre coût dans l’un de leurs centres déconnectés.

Je m’y étais rendu pour la première fois au début du printemps, avec ma femme et mes trois ados. J’avais opté pour le « centre des Landes », un ancien camping premium réaménagé spécialement pour les séjours déconnexion. En arrivant sur les lieux, tout le monde avait dû déposer ses téléphones et autres appareils à l’accueil. Sur place, aucune technologie moderne. Seulement des équipements « low-tech ». Pour écouter de la musique par exemple, pas de casque à conduction osseuse ou oreillettes digitales, il n’y avait à disposition que des platines vinyles. Aucune onde, aucun bruit de circulation à des kilomètres à la ronde, seulement nous et la nature. Nous avions réservé la « cabane aux Cerfs », un chaleureux cottage encerclé de chênes. Dedans, une grande pièce de vie conviviale, où il était facile de se réunir tous ensemble, de se retrouver autour d’un thé chaud, de jeux de société. Nous avions à disposition de quoi pratiquer des activités manuelles : peinture, cuisine, jardinage. Autant d’activités qui nous avaient permis de prendre le temps, d’apaiser nos esprits et de nous reconnecter à nous-mêmes. À l’extérieur, de vastes espaces naturels à explorer. Il était également possible de participer à des ateliers collectifs de bricolage, de méditation ou même de yoga. À notre grande surprise, les enfants avaient adoré l’expérience, ils avaient rencontré des jeunes de leur âge et s’étaient initiés à la peinture. Nous étions rentrés chez nous un dimanche soir, apaisés, les téléphones rangés dans nos poches.

C’est étrange, je me suis toujours imaginé un futur à la Robocop, ce vieux film que regardait souvent mon père, où la technologie était présente partout, comme une réponse à tous nos problèmes. Il faut croire que je me suis trompé. Comme nos machines, les humains avaient besoin de temps d’arrêts. Aujourd’hui, la compétitivité de l’entreprise ne se mesure pas à la performance de ses outils technologiques, mais à sa capacité à les maîtriser, à les mettre à la juste distance.

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