Les ados et les réseaux sociaux : je t’aime moi non plus
Un documentaire US, entre inquiétude et bulle d’espoir
A l'heure où les alertes sur la dangerosité des réseaux sociaux se multiplient des deux côtés de l'Atlantique, "Social Studies" propose une immersion aussi émouvante qu'effrayante dans la vie numérique de la génération Z.
La réalisatrice américaine Lauren Greenfield a filmé le quotidien de dizaines d'adolescents de Los Angeles, qui ont partagé pendant une année scolaire le contenu de leurs smartphones. Une expérience inédite et un triste constat. "Beaucoup d'ados ont des sentiments mitigés à l'égard des réseaux sociaux et sont très, très conscients des effets, pour la plupart négatifs, qu'ils ont sur eux", a résumé la documentariste de 58 ans lors d'une conférence de presse en juillet. En cinq épisodes d'un peu moins d'une heure, le téléspectateur découvre à quel point l'adolescence est particulièrement difficile à traverser dans un monde gouverné par les algorithmes. Les destins entremêlés de ces jeunes âgés de 16 à 20 ans révèlent la pression sociale permanente induite par les plateformes. On rencontre par exemple Sydney, qui multiplie les tenues révélatrices sur son compte Instagram pour avoir des "likes" ; Jonathan, élève studieux incapable d'intégrer les universités d'élite et immédiatement confronté aux "stories" des heureux admis ; ou Cooper, perturbée par des comptes qui glorifient l'anorexie. "Je crois que plein d'ados se sentent comme de la merde à cause des réseaux sociaux, mais ils ne savent pas comment s'en passer", lâche cette jeune Américaine.
Des contradictions, forcément
L'accès au contenu des comptes personnels de chacun offre un rare aperçu de l'univers dématérialisé qui façonne l'imagination de la première génération née avec les plateformes. On y voit comment les jeunes modifient leurs corps en un glissement de doigt avant de publier des photos, la panique qui s'empare d'un lycée à cause de rumeurs sur une fausse fusillade, ou l'influence sur leurs premiers ébats de pratiques sadomasochistes exaltées en ligne. "C'est difficile de différencier ce qu'on t'a mis dans la tête et ce que tu aimes vraiment", confie une jeune fille, lors d'une discussion collective filmée. Emouvants, ces cercles de parole entre adolescents rythment toute la série. Ils révèlent les contradictions entre l'image projetée par les jeunes en ligne, et leurs aspirations réelles : ils se plaignent de harcèlement, du manque de régulation des réseaux et des normes de beauté matraquées sur leur smartphone. "Si je vois des gens avec des abdos, je me dis : Je veux ça. Parce que peut-être que les gens m'aimeraient plus", soupire un adolescent. Le documentaire n'est pas catastrophiste. Il montre aussi une adolescente transgenre en rupture avec sa mère, qui trouve une seconde famille grâce aux plateformes, ou un jeune DJ qui y promeut ses soirées.
D’abord sur FX puis sur Disney+
Mais il dresse surtout le portrait d'une génération déboussolée face au grand tourbillon numérique. A 17 ans, Ivy s'avoue ainsi "anxieuse" et quitte les réseaux sociaux pendant ses vacances. Mais elle se révèle incapable de vivre sans sur le long terme. "Les experts, ce sont les ados", insiste Mme Greenfield, qui a abordé ce projet "sans idée reçue" et a volontairement exclu d'interviewer des psychologues ou des informaticiens. Sans voix off, cette série qui débute ce vendredi sur la chaîne américaine FX - et sera disponible ultérieurement sur Disney+ dans certains pays à l'international - ne profère pas de jugements. Mais elle résonne avec de multiples alertes sanitaires. En France, le président Emmanuel Macron a plaidé en juin pour interdire l'usage du téléphone avant 11 ans et des réseaux sociaux avant 15 ans, après la remise d'un rapport soulignant "l'hyperconnexion subie" des enfants. Aux Etats-Unis, le médecin-chef du pays réclame officiellement que les réseaux sociaux publient des avertissements, comme pour la cigarette, "pour alerter des dangers importants qu'ils représentent pour la santé mentale des adolescents". L'interdiction du smartphone à l'école devient aussi l'un des rares consensus politique aux Etats-Unis. La Floride, dirigée par un républicain, l'a mise en place, et le gouverneur démocrate de Californie a promulgué lundi dernier une loi en ce sens. "Les mesures collectives sont le seul moyen d'agir", approuve Mme Greenfield. Les jeunes "disent tous que si tu es le seul à te déconnecter, tu perds ta vie sociale".