Débat présidentiel : l’effet Kamala Harris
En direct de New York. Par Vincent Létang, Magna (IPG Mediabrands).
Le deuxième débat présidentiel du cycle électoral 2024 a eu lieu mardi soir sur ABC entre Donald Trump et Kamala Harris. Il faut se souvenir qu’on a failli ne pas avoir de débat TV cette année, pour la première fois en 64 ans ! (Nixon-Kennedy 1960). Au début de l’année, le camp Biden n’était pas chaud, au point que les networks avaient pris l’initiative inédite d’une lettre ouverte aux deux candidats pour les implorer de conserver ce rituel civique, cette institution démocratique que constituent les débats présidentiels. Le camp Biden a finalement accepté de débattre et le match Trump-Biden a prouvé, s’il le fallait, que ces débats conservent un poids et un impact politique. La médiocre performance de Biden dans ce débat a accéléré un processus qui a conduit le président sortant à renoncer à la ré-élection (chose très rare dans l’histoire américaine). Trois mois plus tard, Kamala Harris a réussi son début de campagne et se devait d’enfoncer le clou pour son premier débat présidentiel, contre un professionnel du petit écran, Trump.
65 millions d’américains ont regardé le débat Trump-Harris organisé par ABC et diffusé sur 15 autres networks dont CNN, Fox, etc. C’est environ 30% de plus que le débat Trump-Biden en juin (51 millions), et +48% pour les 18-49 ans, preuve de l’intérêt du public pour Kamala Harris avec la perspective d’assister à une opposition de style. Les femmes en particulier ont répondu présentes: le rating sur les femmes de 18 à 49 ans a augmenté de +65% par rapport à Trump-Biden en juin. ABC a concentré un tiers de l’audience du débat et les 5,7 millions de téléspectateurs âgés de 18 à 49 ans représentent la meilleure audience de l’année pour le network, hors football américain.
Comme d’habitude à la télé américaine - et plus encore sur les news ou la politique - les ratings varient considérablement selon les classes d’âge: mardi soir, 45% des 65 ans et plus ont regardé le débat, contre seulement 13% des 18-49 ans et 7% des 18-24 ans. L’intervention de Taylor Swift sur les réseaux sociaux, pour appeler à voter et à voter Harris, dès la fin du débat de mardi (et répétée deux jours plus tard pendant les MTV Video Music Awards) pourrait peut-être encourager cette tranche d’âge à se mobiliser enfin – un enjeu capital pour le camp démocrate. Comparé aux précédents cycles électoraux, le débat Trump-Harris fait aussi bonne figure puisqu’il dépasse Obama-Romney 2012 et Trump-Clinton 2016, mais reste en deçà du débat Trump-Biden de 2020 (72 millions de téléspectateurs).
Suite à ce que les observateurs neutres considèrent comme une « victoire » de Harris, le camp démocrate a immédiatement appelé à organiser un troisième et dernier débat, comme il est d’usage. Le camp Trump a fermement exclu un autre débat en prétextant que Trump avait « gagné » et ne voyait pas la nécessité d’un « rematch ». Mais il y aura au moins un autre débat télévisé, entre les deux candidats à la vice-présidence hauts en couleur : le républicain JD Vance et le democrate Tim Waltz.
Chose assez inhabituelle les deux débats présidentiels de cette année ont tous les deux eu un vainqueur clair : Trump en juin, avec les conséquences majeures que l’on connait, et Harris en septembre. Cela montre que la bonne vieille télévision en direct reste une arme de destruction massive dans un monde que certains pensent entièrement dominé par les réseaux sociaux. C’est particulièrement vrai aux Etats-Unis puisque les plus de 65 ans votent beaucoup plus et regardent encore beaucoup la télévision. Deuxième enseignement : il est très possible que les deux camps soient une nouvelle fois très réticents à organiser ces débats à haut risque à l’avenir. Cette grande institution américaine pourrait pâtir de son succès.
PS : Pour comparaison, le dernier débat présidentiel en France avait réuni 15,6 millions de téléspectateurs en 2022, soit deux fois moins que le record historique de 1981 (Giscard-Mitterrand : 30 millions) mais tout de même 27% de la population, alors que seulement 21% des Américains ont regarde Trump et Harris la semaine dernière.
Vincent Létang
Directeur worldwide des études et de la prévision pour l’agence MAGNA (IPG Mediabrands) et résidant à New York depuis 13 ans, Vincent Létang nous apporte le témoignage d’un Français sur les médias et la publicité aux Etats-Unis.