La fin des débats présidentiels aux Etats-Unis ?
En direct de New York. Par Vincent Létang, Magna (IPG Mediabrands).
Les Etats-Unis ne sont pas la plus vieille ni la plus grande démocratie au monde, mais ils ont inventé cette institution politico-médiatique : le débat télévisé entre candidats à la présidence. Le premier, le plus célèbre et le plus décisif de ces débats a opposé Kennedy et Nixon en 1960 (66 millions de spectateurs). L’aisance de Kennedy et l’engoncement de Nixon avaient contribué à la victoire de Kennedy par une très faible marge. Il aura fallu attendre 14 ans de plus et la réforme de l’ORTF pour voir un débat présidentiel en France (Mitterrand-Giscard en 1974).
Aux USA, au moins un débat télévisé a eu lieu à chaque élection depuis 1976. Le record d’audience est détenu par Trump-Clinton en 2016 (84 millions) tandis que les deux débats Trump-Biden de 2020 ont rassemblé une moyenne de 68 millions de téléspectateurs. Cette année, comme en 2020, trois débats sont programmés en septembre et octobre avant l’élection de novembre, mais ils risquent fort de passer à la trappe.
Retour en 2020, Trump annule sa participation à l’un des trois débats à la dernière minute, et les deux autres se déroulent de manière délétère et chaotique. Cette année, l’entourage de Biden laisse entendre que le président pourrait ne pas participer, à moins que le format du débat - établi au millimètre par un comité « bipartisan » - ne change radicalement pour éviter un nouveau pugilat. Le camp Trump ironise sur l’âge de Biden et son incapacité à soutenir un débat, mais Trump lui-même a récemment évité ce genre d’exercice. Il n’a par exemple participé à aucun des 6 débats des primaires républicaines cette année. Au-delà de la personnalité et de l’âge des candidats, l’incapacité des Démocrates et des Républicains à débattre serait le signe d’une nouvelle aggravation dans le désengagement, la polarisation, et le délitement du débat démocratique aux USA.
Selon le New York Times, les cinq plus grands networks, très inquiets, pourraient prochainement envoyer une lettre ouverte aux deux candidats pour les implorer de se mettre d’accord et de se rencontrer à l’automne. Si les médias échouent à convaincre les candidats de débattre cette année, pour la première fois en cinquante ans, ce serait un nouveau et puissant signe que le centre de gravité du débat démocratique, qui était passé de la presse à la télévision en 1960, est maintenant parti vers les réseaux sociaux, où l’absence de modération et les algorithmes aggravent encore la polarisation de l’opinion.
Vincent Létang
Directeur worldwide des études et de la prévision pour l’agence MAGNA (IPG Mediabrands) et résidant à New York depuis 13 ans, Vincent Létang nous apporte le témoignage d’un Français sur les médias et la publicité aux Etats-Unis.