Les NFTs ne sont pas un monde virtuel échappant aux règles de la propriété intellectuelle
La récente décision de justice dans l’affaire Hermès contre Mason Rothschild a conclu à l’application, dans le domaine des NFTs, des règles de protection de la propriété intellectuelle, refusant de considérer une représentation virtualisée de produits ainsi protégés comme une œuvre artistique échappant à ces règles.
Décision Hermes International v. Rothschild, 8 février 2023
L’artiste américain Mason Rothschild a créé et commercialisé « Metabirkins », une série de 100 NFT déclinant le fameux sac Birkin d’Hermès avec de la fausse fourrure. Cette collection avait été lancée lors des célébrations du Miami Art Basel 2021 et avait rapporté un peu plus d’un million de dollars à l’artiste.
Hermès avait alors saisi la justice américaine le 14 janvier 2022, sur le fondement de la contrefaçon du modèle Birkin et de la marque correspondante, aux motifs que (i) Mason Rothschild « [avait] enfreint et [continuait] d'enfreindre » la propriété intellectuelle de la marque et menaçait de continuer, en réalisant et en vendant les NFTs MetaBirkins et que (ii) l’utilisation détournée des marques Birkin et Hermès sans son consentement préalable « [était] de nature à occasionner de la confusion et des erreurs d'interprétation dans l'esprit des acheteurs ».
L’artiste, de son côté, (i) faisait valoir que ses créations tombaient sous le coup du premier amendement à la Constitution américaine, qui protège la liberté d'expression, dès lors que ses NFTs litigieux seraient des œuvres d’art dénonçant la maltraitance animale, et (ii) s’est appuyé sur le test « Rogers vs Grimaldi », issu de la jurisprudence du même nom, aux termes duquel chacun est libre d’exploiter une marque protégée sans autorisation dès lors que cette exploitation constitue une expression artistique et n’induit pas explicitement les consommateurs en erreur.
Le procès des Metabirkins a finalement débuté le 30 janvier 2023 devant le tribunal fédéral de Manhattan, qui a rendu sa décision le 8 février 2023. Il a ainsi été retenu par le jury que :
• les Metabirkins ne relèvent pas du premier amendement de la Constitution, dès lors qu’il s’agit de produits de consommation, et non d’œuvres d’art protégées au nom dudit Amendement ; et
• les Metabirkins étaient susceptibles de semer la confusion chez les consommateurs.
Cette confusion a été retenue sur la base de faisceaux d’indices à savoir (i) la force de la marque « Birkin », (ii) le degré de similitude entre la marque Birkin d’Hermès et le nom et l’apparence des NFT Metabirkins, (iii) la similitude de la clientèle visée par Hermès et par les Metabirkins, (iv) le risque de confusion entre les produits d’Hermès et les Metabirkins aux yeux des consommateurs, (v) l’intention, participant de la mauvaise foi, de faire croire aux consommateurs qu’Hermès était à l’origine des Metabirkins ou du moins les approuvait, et (vi) la probabilité qu’Hermès ait des projets concrets et réalistes pour produire et vendre ses propres NFT utilisant la marque Birkin.
Par conséquent, Mason Rothschild a été condamné à verser à la maison Hermès 110 000 dollars de dommages et intérêts pour contrefaçon et dilution de marque, et 23 000 euros de dommages et intérêts pour cybersquatting en raison de l’utilisation du nom de domaine « https://metabirkins.com » qui pouvait laisser penser qu’il s’agissait d’un site web appartenant à Hermès.
Hermès a de son côté effectué depuis une demande de dépôt de marque auprès de l’Office américain des brevets et des marques en vue du développement d’applications metaverse et NFT de ses marques.
Cette décision était attendue, puisqu’elle fera certainement office de jurisprudence quant à l’application du droit de propriété portant sur des biens réels, et des droits de propriété intellectuelle qui y sont liés, à leur représentation numérique.
Toute création dérivée ou similaire à des marques protégées sera certainement susceptible de donner lieu à une action en justice, à l’instar de la situation dans le monde réel. Pour l’heure, il semble donc que la législation en vigueur soit considérée comme suffisante, ou suffisamment adaptable par les juridictions, pour inclure la protection des marques dans l’univers des NFTs, sous réserve qu’il soit déterminé s’il s’agit d’une décision isolée ou au contraire d’une véritable jurisprudence.
Il convient à cet égard de noter que, le même jour, l’EUIPO a refusé en Europe l’enregistrement du célèbre tartan Burberry à titre de marque pour couvrir les NFTs, estimant que le tartan était dépourvu de distinctivité pour les produits et services liés aux NFTs, en précisant que la distinctivité acquise par l’usage ne pouvait pas être invoquée pour ces produits virtuels nouveaux…
De part et d’autre de l’Atlantique, la question de l’application des règles de droit existantes dans le domaine des NFTs connait donc des approches différentes, les EU adoptant une approche dérivée souple, et l’UE adoptant une approche rigoureuse des critères d’éligibilité à la protection dans le domaine des NFTs.
À suivre !
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