Google, la protection de la vie privée, et nous autres
Ces dix dernières années, le marketing digital a connu une expansion fulgurante grâce à la promesse du ciblage par utilisateur et de la performance optimisée en temps réel. Depuis environ deux ans, nous sommes entrés dans une phase de transition, ou cette promesse d’efficacité publicitaire - alimentée par les données d’audience - doit (et à juste titre) s’adapter aux exigences en matière de protection des données et d’information des utilisateurs. Victimes attendues de ce nouveau paradigme, les cookies tiers, qui permettent encore aujourd’hui de piloter une part importante des investissements publicitaires en permettant d’identifier sans contrôle possible les utilisateurs et leur comportement, sont amenés à disparaître.
Si cette disparition était anticipée, elle a été confirmée dans un post de Google autour de son initiative “Privacy Sandbox”, qui vise à proposer des solutions de remplacement pour les différents cas d’usage du marketing reposant aujourd’hui sur les cookies tiers. Mais cette annonce va plus loin : l’écosystème Google n'intègrera aucun des identifiants dont il n’est pas propriétaire. Cela n’est pas vraiment une surprise : alors que tous les acteurs de l’ad-tech ont déjà entamé l’intégration de ces identifiants alternatifs, Google s’y était toujours refusé. En pratique il n’en a pas besoin : son identifiant propriétaire est à l’origine de sa fulgurante accélération sur le marché de la publicité digitale depuis 2016 et a été intégré à l’ensemble de ses produits. De cette manière, cet identifiant permet à Google de faire le pont entre leurs solutions marketing et les nombreux outils gratuits qu’ils mettent à disposition du grand public.
Une chose est certaine donc, Google ne contribuera pas à l’émergence d’une solution d’identification utilisateur externe, quand bien même cette dernière pourrait répondre aux exigences réglementaires en matière de collecte du consentement. Le géant américain continuera d’exploiter son propre identifiant au sein de ses environnements (YouTube, Chrome, Android, Gmap, etc.), et celui-ci lui permettra également d’absorber les données utilisateurs 1st party de ses clients dans son jardin clos. Mais aucune donnée identifiée ne sortira de cet écosystème fermé : tout le partage de données d’audience et de données de performance issues les environnements de Google avec l’extérieur passera par la Privacy Sandbox et des modèles de données agrégées. Si, dans un sens, cela limite en effet les risques quant à la vie privée des internautes, cela renforce également la mainmise du géant de Mountain View sur les algorithmes marketing et sur l’ensemble de la chaîne de valeur publicitaire.
En pratique, cette annonce cristallise quelques vérités essentielles :
- L’annonce officielle de Google indique clairement qu'il opérera à la marge du reste de l'industrie.
- Une fois de plus, Google se positionne en concurrent de l'Open Web et favorise ses propres actifs, parmi lesquels Google Search ou YouTube. Dès lors, pour construire un écosystème ouvert, indépendant et accessible, l’Open Web doit cesser de se reposer sur les outils de Google.
- Cette décision rappelle aux éditeurs et aux annonceurs qu'ils doivent reconsidérer leurs choix technologiques fondamentaux. En s’appuyant sur des écosystèmes fermés, ils perdent le contrôle sur leur données et la relation utilisateur. Si la donnée peut y entrer, rien ne peut sortir des jardins clos.
- La survie dans un écosystème ouvert exige des éditeurs qu'ils prennent le contrôle total de leur stack technologique, à commencer par le pilotage de leur performance publicitaire et donc de leur adserver.
- Si la fin des cookies est une opportunité pour les acteurs médias de reprendre le contrôle des données et des algorithmes, cela passe par l’adoption de solutions technologiques ouvertes capables de se conformer aux exigences des utilisateurs en matière de vie privée et d’exploiter des identifiants alternatifs non reconnus par Google.
- Des algorithmes ouverts et transparents sont une menace pour les acteurs dominants et en conséquence une opportunité pour permettre aux acteurs médias de reprendre de la valeur publicitaire.
On le comprend, la disparition des cookies et l’émergence d’alternatives techniques permettant à l’écosystème publicitaire digital de tenir sa promesse de personnalisation du message publicitaire dépasse largement les motifs de protection des données utilisateurs dont se drape Google dans son annonce. S’il est essentiel que l’ensemble des acteurs fassent preuve de plus de transparence vis-à-vis des internautes et permettre aux éditeurs et aux annonceurs de respecter la relation de confiance qu’ils établissent avec leurs utilisateurs, on ne peut mettre de côté les enjeux de propriété de la donnée et des algorithmes qu’elle permet de construire. Le contrôle de l’identité numérique a permis à des acteurs de s’imposer ces dix dernières années.
Les évolutions réglementaires et technologiques remettent au centre la nécessité de souveraineté sur les données et sur la relation utilisateur. S’il est naturel que Google souhaite asseoir sa main mise sur les données personnelles, charge aux acteurs indépendants d'apporter une alternative aux médias et aux annonceurs avec des modèles ouverts, assurant la portabilité des algorithmes, le contrôle des identifiants et l’information des utilisateurs.
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