Pierre Calmard (Dentsu) "confinement ou pas, il y aura toujours des marques à construire"
Deuxième semaine de confinement... CB News poursuit sa série d'interviews de professionnels de la filière communication, initiée mardi 17 mars. Pierre Calmard, General Manager Pole Media & Performance chez Dentsu Aegis Network France, et CEO iProspect, s'est prêté à l'exercice.
1) Comment réagissez-vous face à cette crise sanitaire ? Pour vos salariés ? Vos partenaires ? Les freelances ?
Tous les collaborateurs de Dentsu Aegis Network en France sont de facto en télétravail depuis le jeudi 12 mars, puisque nous n’avons pas attendu les annonces du gouvernement pour mettre en place un exercice de fermeture de nos locaux. Ce test s’est non seulement révélé concluant mais il a en outre permis d’identifier et résoudre en quelques heures des points d’amélioration dans nos process.
L’activité se poursuit donc de la manière la plus fluide possible avec nos collaborateurs et partenaires extérieurs. Certes, les conditions ne sont pas toujours idéales – je pense notamment aux parents d’enfants en bas âge, ceux qui sont seuls, ou dans des appartements exigus — mais nos équipes font preuve d’un grand sang-froid et de beaucoup de bienveillance. S’il y a bien un point positif à retenir de cette situation, c’est la formidable capacité d’adaptation de l’organisation.
2) commencez-vous à mesurer l’impact financier ?
Nous commençons à mesurer les reports de campagnes publicitaires, qui peuvent impacter notre propre rémunération. Il s’agit le plus souvent de reports et non d’annulations pures et simples, mais bien évidemment sur le moyen terme, la question se posera. La majorité de nos clients sont toutefois conscients que nous devons faire trois fois plus de travail : établir une stratégie, acheter les espaces ou produire les contenus, puis défaire – ce qui prend énormément de temps – avant sans doute de refaire ensuite. Nous travaillons plus, avec le même revenu, et parfois moins.
3) comment réagissent vos clients ? Reports de campagnes, changement de stratégies de communication ? Etc.
Je pense que nous sommes aujourd’hui au milieu d’une phase de réaction : les marques réduisent leurs investissements de manière préventive, quelques projets sont mis entre parenthèses, certaines discussions stratégiques passent au conditionnel, etc. C’est un comportement défensif normal et il est de notre devoir de l’accompagner afin d’absorber le choc et protéger nos partenaires à court terme. C’est particulièrement vrai pour nos activités de stratégie média. En effet, les médias demeurent fragiles. Il est important de les soutenir, car ils sont un des piliers de la démocratie, a fortiori en temps de crise. Les annonceurs financent un système qui certes leur profite, mais il bénéficie en réalité à tous les citoyens.
En revanche, j’estime qu’une fois la stupéfaction passée, beaucoup d’entreprises vont vite intégrer la réalité du confinement et retrouver une activité de communication stabilisée, à défaut d’être normale. Confinement ou pas, il y aura toujours des marques à construire, des communautés à entretenir, de nouveaux services à imaginer. D’autant que les Français vont consommer encore plus de contenus et de médias que d’habitude dans les prochaines semaines. C’est une opportunité formidable en réalité, à condition de savoir adapter ses messages : sans doute moins mercantile, et plus orienté vers le rôle social, la pérennité, l’avenir. De nouveau, nous serons là pour accompagner les entreprises et les médias dans cette phase, avant de passer dans l’après.
4) Selon vous, comment pouvez-vous être utile — votre agence et votre secteur — à la société en ce moment ?
Chez Dentsu Aegis Network, nous sommes impliqués sur de nombreux fronts.
Tout d’abord parce que plusieurs de nos agences conseillent le Service d’Information du Gouvernement, et sont donc en charge de toutes les campagnes d’information et prévention. Je tiens d’ailleurs à remercier nos équipes qui travaillent d’arrache-pied aux côtés de l’Etat pour protéger nos concitoyens.
Ensuite, nous conseillons nos clients annonceurs pour qu’ils adaptent leur logique de communication à la réalité de la crise. Nous avons en tant que secteur un rôle, voire une mission d’accompagnement de nos partenaires de bout en bout de cette crise. À court terme, il faut soutenir les marques, préserver les médias et permettre une diffusion optimale des messages de prévention. À moyen-long terme, il faut maintenir l’activité publicitaire et préparer l’après. La pluralité des médias est l’apanage des démocraties, et leur économie repose très largement sur la publicité.
Enfin, nous avons aussi une mission de protection et de formation de nos talents. Les agences étaient déjà, avant la crise, dans une situation économique précaire. Les mutations de la communication, largement influencées par l’irruption du digital dans nos quotidiens, obligent le secteur à modifier drastiquement ses méthodes et pratiques. Chez Dentsu, nous avons engagé bien avant la crise des programmes de transformation, tant sur l’organisation que sur les technologies utilisées. Notre agilité est utile à nos clients, qui ont besoin non seulement de souplesse, mais aussi parfois d’être bousculés dans leurs certitudes. Il nous appartient, par exemple, de sensibiliser les marques quant au rôle qu’elles doivent jouer dans la société, et plus généralement dans le monde. La communication n’est plus déconnectée du réel : l’exigence des consommateurs en matière de transparence l’a démontré, la pertinence de la communication est devenue une exigence absolue.
En somme, le rôle des agences est de faciliter la résilience de tous face à une crise inédite qui peut aussi nous pousser à nous dépasser !