L’âge des raisons…
« Ce n’est pas la raison d’être des entreprises qui a changé, ce sont leurs raisons d’agir. »
À la faveur de la fameuse loi Pacte, les entreprises peuvent donc désormais se doter d’une « raison d’être ». Elles n’en auraient donc pas… Sinon celle du lucre.
Cette révolution dans un verre d’eau est née entre deux évidences : d’un côté, une définition historique, très réductrice, des sociétés et assise sur la seule recherche du profit ; de l’autre, des enjeux sociétaux et environnementaux inédits qui engagent les entreprises et qu’elles ne peuvent plus ignorer dans la conduite de leurs activités. Fort heureusement, beaucoup n’ont pas attendues de bricoler une raison d’être pour agir…
Raison d’être et raisons d’agir
Le fait est que cette possibilité désormais offerte aux entreprises aiguise les appétits de nombreux conseils en communication, prolixes sur le sujet : pas un jour sans qu’une tribune vante, le cœur sur la main, cette impérieuse démarche. On se demande pourquoi tous ceux qui ont eu là la révélation d’un enjeu vital n’y ont pas pensé plus tôt et tout seul… Il y a dans ce tam-tam une fumisterie dont notre époque a le génie.
Ne peut-on pas raisonnablement considérer, en effet, que la raison d’être d’une entreprise, outre celle de faire du profit – c’est-à-dire, ne le méprisons pas, d’être rentable pour perdurer et contribuer ainsi à une dynamique socio-économique globale (en créant des emplois, en payant de l’impôt, en innovant pour l’avenir, etc.) –, tient dans son activité même et aux produits et services qu’elle délivre à ses clients. La raison d’être d’un assureur, d’un constructeur automobile, d’un groupe hôtelier ou encore d’un fournisseur d’énergie ne tient-elle pas essentiellement à l’utilité de leurs prestations pour chacun et pour la collectivité ?
Que toutes ces activités soient impactées en profondeur et de façon inédite par des enjeux d’intérêt général et la prise en compte de nouvelles exigences sociétales, qui mobilisent la responsabilité des entreprises et la transformation de leurs modèles de production ou de création de valeurs, n’invalide pas leur raison d’être. Ils la challengent ! On peut certes habiller tout cela, y mettre du « sens » comme on aime à le dire aujourd’hui. Mais reconnaissons que le monde n’avait pas moins de sens hier qu’il n’en a aujourd’hui et que ce sont les contextes propres aux époques qui ajustent notre expression du sens.
Dans ce cadre, ce n’est pas la raison d’être des entreprises qui a changé, mais leurs raisons d’agir.
Une légitime influence
Il faut considérer qu’il existe un cercle vertueux entre les entreprises, la société dans son ensemble et les citoyens. Ce ne sont pas ces derniers qui expriment seuls et spontanément de nouvelles attentes, y compris comme consommateurs, auxquelles il faudrait répondre ; ce sont aussi les entreprises, par leurs innovations et leurs décisions, mais aussi les médias, les ONG, les élus… qui cristallisent un certain nombre de new deals au sein de la société.
Il serait paradoxal d’inviter les entreprises à contribuer de façon décisive aux défis de l’époque, en innovant, en se transformant pour corriger les impacts négatifs dont elles peuvent être parties prenantes, de leur reconnaître un rôle clé dans cette mobilisation générale… Et, par ailleurs, de considérer qu’elles n’ont pas leur mot à dire quand il convient de débattre des matières dont elles sont expertes de par leurs activités. Les entreprises et leurs représentants sont des parties prenantes légitimes du débat public et souvent des éclaireurs privilégiés. Ces acteurs ont le pouvoir de porter des visions pour l’avenir, de produire des analyses stratégiques, d’engager des solutions. Ils ont toute légitimité à prendre part au contradictoire du débat et à défendre leurs convictions.
Pour ce faire, les entreprises doivent asseoir leur crédibilité sociétale, nourrir le dialogue, s’inscrire dans les débats qui les concernent, porter des réflexions prospectives, être forces de propositions, engager des actions durables sur les terrains où elles se mobilisent…
Pour mener à bien leurs activités, indissociables de combats et d’engagements plus larges qu’elles apprennent à s’approprier, nos entreprises doivent désormais légitimer et animer leurs raisons d’agir dans la société. Non pas pour se nourrir de belles paroles sur leur raison d’être mais pour contribuer, dans l’action et au service aussi de l’intérêt général, à la prise des bonnes décisions ainsi qu’à leur réalisation.
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