Pour survivre à la Yukaïsation de la grande consommation
Inéluctablement, la numérisation de l'économie se poursuit. La plupart du temps, il s'agit de disrupter un secteur, une activité, en lui substituant une offre digitale plus simple, plus rapide, plus économique. L'ubérisation est en marche. Mais il n'y pas que l'ubérisation pour satisfaire les consommateurs. Rendre un service est déjà une démarche qui peut connaître un franc succès. Comme autrefois existaient les « marques amies », appréciées pour leurs services rendus, voici venues les « apps amies ». Après la grande distribution qui leur a pris tous leurs attributs, les marques se font encore piquer leur boulot.
C'est flagrant dans les secteurs de la grande consommation, alimentaire, hygiène-beauté où les marques ne jouent plus leur rôle de garant, et ne guident plus le choix des consommateurs par un contrat de confiance. Le pacte a été en quelque sorte déchiré par ces derniers qui se tournent désormais vers des apps amies pour répondre à des questions simples : c’est qui le moins cher ? Y’a quoi dedans ? C’est qui le patron ? c’est bon pour moi ?
Comme on parle d'uberisation, il faudrait parler de Yukaïsation. Il s’agit de la même inflexion de marché, quand un tiers de confiance vient régir la relation entre le consommateur et les marques.
La capacité des consommateurs à éclairer leurs achats par une source d'information tierce change totalement le rapport de force avec les distributeurs et les fabricants.
Les premiers s'adaptent très vite (1) : ils développent de nouveaux services, un balisage de leur offre qui réponde à ces nouvelles attentes de produits inoffensifs, locaux, vraiment bons, c'est à dire bons à l'usage mais aussi sans danger ni pour l'homme ni pour son environnement. Toutes les enseignes ont pris la mesure des nouvelles exigences des Français qui s'imposent à eux. Ils sont, soit totalement intégrés (du champ au rayon), soit imposent aux fournisseurs des cahiers des charges plus exigeants que ceux des fabricants eux-mêmes. Les changements sont rapides et spectaculaires et accentue s’il en était besoin leur avantage dans le désormais séculaire rapport de force Enseigne vs Fournisseur.
Pendant ce temps-là, qu'en est-il des industriels ? Que s'est-il passé depuis que Fleury Michon nous invitait à venir vérifier ?
On connaît l'argument à leur décharge : changer totalement les lignes de production, les filières d’approvisionnement, revoir entièrement un cahier des charges complexe et onéreux. Tout cela prend du temps, et ces efforts doivent être rentabilisés dans une économie plus qu’incertaine.
Vache qui rit, Gerblé, Buitoni, Knorr, Heudebert, Bjorg… certaines marques réagissent pourtant et changent leurs recettes, suppriment les ingrédients les plus toxiques, réduisent les teneurs en sel et en sucre (sur certains de leurs produits), valorisent leurs filières…
Il y a le savoir-faire mais également le faire-savoir, et c’est en matière de communication également que les changements sont indispensables.
Il y a Danone qui priorise désormais le digital dans son mix média et s’associe à TF1 dans « Je sais, j’agis ». Unilever qui rationalise (encore) son portefeuille de marques et cesse de soutenir celles qui ne sont plus en phase avec les impératifs de l’époque. Procter qui se réinvente et dépasse son modèle d’origine, appelant chacune de ses marques à se doter d’un « purpose » comme objectif supérieur au-delà du bénéfice produit.
Pour ces groupes, parler d’environnement, de diversité ou d’inclusion permet d’enrichir la valeur d’une marque de grande consommation et de placer le digital comme vecteur central de son expression, et de vendre un produit & une marque qui répond aux attentes de l’époque.
Et puis il y a les autres, qui continuent d’appliquer le vieux modèle « proctérien » (auquel Procter a pourtant renoncé depuis longtemps), qui consiste à pratiquer une mécanique obsolète en continuant de croire qu’il suffit de placer des innovations dans les rayons des supermarchés, de les soutenir en promotion et de les accompagner d'une ou deux vagues de TV pour que les messages passent, et que cela marche.
Pourquoi continuer d’utiliser des recettes d’hier pour régler des problèmes d’aujourd’hui ?
Pour exister à côté des prescriptions des applications tierces, pour survivre à la Yukaïsation de la grande consommation, il va être temps pour les fabricants d’apporter massivement des réponses fortes en termes d’offres et d'innover dans leurs communications.
C'est aussi cela, l'impératif d'une économie qui se numérise.
(1) : Carrefour et son vaste programme Act for Good, Système U, Intermarché et leurs lignes de marques propres conçues pour passer l'épreuve de leur vérification sur Yuka, Auchan qui vous indique toutes les provenances de ses produits.
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