Souveraineté numérique : la commission d'enquête sénatoriale rend ses conclusions
La commission d'enquête sénatoriale sur la souveraineté numérique de la France a rendu jeudi ses conclusions, recommandant notamment l'application stricte du principe de portabilité des données qui permettrait aux internautes de changer facilement de réseau social ou de plateforme de service. "Les entreprises géantes du numérique, les Gafam américains, les BATX chinois dépassent désormais celles des secteurs traditionnels en terme de valorisation financière et atteignent un nombre d'utilisateurs inédit dans l'histoire", souligne le rapporteur de la commission d'enquête Gérard Longuet (LR) dans son avant-propos. "Loin de l'utopie égalitaire et individualiste des débuts, le cyberespace est bien celui aujourd'hui le lieu où s'exercent les conflits d'intérêts, les luttes d'influences et de logiques économiques et sociales antagonistes, bref le retour sous des formes nouvelles de la très classique compétition pour la prise de pouvoir", explique-t-il. Le rapport de la commission d'enquête propose un certain nombre de pistes concrètes pour s'assurer que les citoyens et l'Etat ne perdent pas le contrôle de leur liberté et de leur autonomie de décision dans le cyberespace. Il préconise ainsi notamment de faire appliquer strictement le principe de "portabilité des données", prévues par le Règlement européen sur la protection des données (RGPD) pour qu'un internaute puisse quitter sans perdre ses données telle ou telle plateforme. "Il conviendrait de soutenir et d'étudier la faisabilité technique et opérationnelle d'une obligation d'interopérabilité" entre grandes plateformes, pour qu'il soit facile d'aller de l'une à l'autre, souligne le rapport.
Face au projet Libra (la cryptomonnaie sur laquelle travaille Facebook), les sénateurs demandent d'explorer les voies vers une cryptomonnaie publique, "sous l'égide de la BCE", pour que les Etats puissent "défendre leurs prérogatives dans le domaine monétaire". Le rapport écarte l'hypothèse d'un démantèlement des Gafam, même si l'idée a fait son chemin dans certains cercles américains. Pas sûr que la "logique de puissance actuellement à l'œuvre" sur internet ne soit brisée par une scission des géants, notent les sénateurs. Et "on peut s'interroger sur la question de savoir si les géants chinois du numérique ne seraient pas les premiers bénéficiaires d'une telle mesure", ajoute-t-il. En revanche, les sénateurs préconisent de "muscler le droit de la concurrence" en France et en Europe. "Il faut faciliter le recours à des mesures conservatoires lorsque l'urgence l'exige", estiment les sénateurs.
Les lacunes du droit de la concurrence sur le numérique
Interrogée sur le conflit actuel entre Google et les éditeurs de presse français sur les "droits voisins" (la rémunération des contenus de presse visibles sur le moteur de recherche), la sénatrice centriste Catherine Morin-Desailly, membre de la commission d'enquête, a estimé qu'il illustrait les lacunes du droit de la concurrence national et européen sur le numérique. L'attitude de Google est "inadmissible", a-t-elle déclaré. "Cela renvoie au comportement général de ces plateformes qui sont omnipotentes (...) Elles sont en monopole, mais nos règles de concurrence ne nous permettent pas de prendre des mesures conservatoires quand on constate des abus de position dominante, et elles sont toujours plus puissantes", a-t-elle estimé. La commission d'enquête était présidée par le sénateur du Gers Franck Montaugé (PS).