NRF 2019 : day two and three
Catherine Barba, fondatrice de Peps Lab, laboratoire d'innovations retail basé à New York, raconte "son" Retail Big Show organisé par la National Retail Federation (NRF).
La NRF 2019 était placée sous le signe de l’optimisme. On en est reparti en se disant que "oui le retail tenait bon, que non le magasin n’était pas mort !" Les plus ennuyeux ont évidemment pensé le contraire.
Réflexions sur la transformation
Amazon ne menace-t-il vraiment que les commerçants qui ne se remettent pas assez vite en question, qui n’investissent pas assez dans l’innovation, qui manquent d’agilité (ça fait un peu de monde quand même) ? Une chose est sûre : ce qui fait qu’une entreprise se transforme plus vite qu’une autre, c’est un dirigeant très impliqué avec une vision à long terme, une exécution qui embarque tous les collaborateurs, une collaboration étroite avec l’écosystème, des investissements importants. La difficulté est que même chez les retailers qui investissement beaucoup sur la transformation (Walmart : 11 milliards de dollars en 2018), il reste encore un abîme entre l’énergie et les dollars déployés et l’expérience vécue par les clients. C’est long la transformation, ça prend du temps. Pas facile de garder le cap des investissements quand l’impact sur les ventes et la satisfaction client n’est pas encore flagrant. 2019 risque d’être plus difficile. "Résiste" chantait France Gall. La résilience finira par payer.
Canaux de vente : unifiez-vous
Dans le foisonnement NRF des stands de sociétés technologiques qui transforment le retail, je vois d’année en année des solutions toujours plus performantes, toujours plus intégrées. La fluidité entre le online et le offline devient chaque année un peu plus une réalité. On commence à parler de maturité. Et c’est bon de voir les français en si bonne place ! La retailtech a de l’avance en France. L’omnicanal n’a plus de sens : le magasin est partout, partout où il y a un client son smartphone à la main. Target raconte ainsi comment ils ont revu leur organisation interne autour du client et non plus autour du canal de vente ou de la catégorie produit. Customer is the channel. Parmi les sociétés qui créent des passerelles entre le physique et le digital, j’aime beaucoup Proximis et j’ai eu un coup de cœur pour S4M, la startup française qui mesure l’impact des ses campagnes publicitaires et marketing sur le CA en magasin. Ça se teste ! Découvrir, être reconnu, trouver facilement, ne pas attendre, payer facilement : bye bye les irritants ! En ligne comme en magasin, toutes les solutions "AI-powered "que je découvre ont la même obsession. Eeffacer les pain points, les irritants, pour rendre l’expérience en magasin toujours plus facile et rapide, et le client plus autonome. Je remarque que ce sont les géants du marketing et du CRM qui présentent cette année leurs solutions de tracking des clients en magasin (même si la plus aboutie et simple à implémenter reste pour moi indiscutablement la start-up Retency), l’intérêt étant, par une connaissance accrue et mesurée des parcours, d’augmenter volume de vente et panier moyen en proposant au client des offres sur mesures - et de façon non intrusive. Ce sont en revanche plutôt des start-ups qui développent des technologies de reconnaissance faciale et de reconnaissance d’image, comme ce super caddie Caper, la start-up new-yorkaise qui vient de lever 3 millions de dollars et qui se présente comme un condensé d’Amazon Go. Sur le petit écran tactile dont il est équipé, le caddie pousse des offres spéciales – et au fil du temps de plus en plus personnalisées, permet de localiser les produits dans le magasin et de les enregistrer par code barre quand ils sont mis dans le panier. Le client n’a plus qu’à insérer sa carte pour payer. Mention spéciale aussi pour ce frigo connecté que j’imagine bientôt dans tous les aéroports, les hôtels, les halls d’entreprises. On l’ouvre avec sa carte bancaire, les articles retirés sont simplement débités. C’est exactement le même principe que Cargo (le froid en moins !) qui transforme tous les Uber en magasin.
Le magasin centre logistique
Beaucoup de choses en logistique, nerf de la guerre. OneStock, qui vient de France, unifie la gestion des stocks entre points de vente et site e-commerce. La solution permet de faire le lien immédiat entre un produit et un lieu : connaître en temps réel sa disponibilité, son emplacement, s’il fait l’objet d’une opération promotionnelle, de lui associer le nom d’un vendeur… Indispensable ! J’ai l’impression que les américains découvrent les vertus du retrait en magasin. C’est vrai que, étonnement, ce n’est pas une option couramment proposée par les sites e-commerce ici. De grands marchands annoncent leur nouvelle offre Bopis pour Buy Online Purchase In Store, et moults autres combinaisons achat-livraison qui rendent service au client. Walmart devrait ainsi avoir à la fin de l'année, 2 140 points de vente (soit près d’un magasin sur deux aux US) dédies au pickup des commandes online et couvrir ainsi 69% des foyers américains, et permettre aux clients de venir retirer leurs commandes en ligne dans 800 magasins (40% de la population). Respectivement 3 100 et 1 600 à fin 2020. "Stores will become multipurpose half stores, half warehouses"...Beaucoup de commerçants se mettent à préparer les commandes internet en boutique. Les marchands ont effectivement tout intérêt à faire du magasin un centre logistique.Le coût de préparation est nul car pris sur des heures "cachées", ça désengorge les entrepôts, et garantit la livraison dans des délais très courts. L’inconvénient majeur : le rythme ! Il faut recruter des vendeurs sacrément débrouillards. J’ai bien aimé aussi les robots autonomes qui aident à gérer les stocks et préparer les commandes. Je les ai vus à l’œuvre dans les nouveaux entrepôts de FreshDirect dans le Bronx, ils sont très impressionnants (comme leur CEO et co-fondateur David McInerney) mais permettent surtout de gagner un temps de traitement assez considérable par commande.
A New York on découvre la Chine
Grâce aux intervenants du salon NRF, mais aussi à Nathalie Yu de Carrefour Chine et de Florent Courau de JD.com venus parler à la NRFrench Party au Consulat de France, on réalise à quel point la Chine est devenue, avec 1,3 milliards de smartphones dont 90% connectés, le vrai laboratoire du retail du futur. Florent Courau raconte "nous avons aidé un magasin de meubles dans une petite ville en analysant grâce à nos données, ce qui pourrait intéresser la clientèle locale. Sur nos conseils, le commerçant a ajouté à son offre 3 000 références de produits techniques ou d'accessoires : son trafic a cru de 30 %". JD.com qui emploie 12 00 ingénieurs, réalise 54 milliards de dollars de chiffre d'affaires (!), dont plus de la moitie sur sa marketplace. 90% des livraisons sont faites le jour même ou le lendemain. Le gouvernement chinois a récemment ouvert un espace aérien dans lequel il autorise la livraison par drône. 100 drônes ont déjà livré 40 000 colis. Que ce soit sur le terrain de la livraison, celui du paiement mobile ou de la reconnaissance faciale, la législation chinoise permet de faire des expérimentations et aux acteurs de prendre de l’avance.
Le vendeur ou le commerce unifié
C’est Bryan Cornell, CEO de Target qui le dit "The best investment we made was in our team and they are driving the sales and engagement success we are enjoying. Human connections matter. It is part of our experience and what differentiates our brand". Evidemment le lien humain n’a pas encore été remplacé, et il ne le sera pas. Face à des consommateurs connectés, surinformés, insatiables, la formation des vendeurs sur la transformation des attentes et des besoins clients reste une priorité. L’équipement en outils qui leur donnent plus de connaissance sur les produits, sur les clients, et de plaisir à vendre est aussi essentiel. J’ai eu un vrai coup de cœur pour Hero, la start-up qui connecte les vendeurs en magasin avec les acheteurs en ligne. Vous êtes sur un site e-commerce, vous avez besoin d’aide pour trouver, choisir, acheter ? Plutôt que d’échanger avec un chatbot "mi-homme mi-machine", vous pouvez vous connecter directement avec un vendeur en magasin en mode FaceTime. Il vous répond, vous conseille, peut même acheter pour vous. Ca me plaît parce que c’est totalement dans l’esprit de ce que les jeunes générations attendent d’un site e-commerce (et que m’a appris Danielle Lee, la fondatrice de la nouvelle génération de sites e-commerce popshop.live). Un achat en video, live, social. Et c’est un bon moyen de renforcer la proximité avec les clients, le côté chaleureux, à l’écoute, très humain de l’achat.
Au fond tout est affaire d’émotion
Après trois jours de déferlante de solutions technologiques plus performantes et sophistiquées les unes que les autres, j’ai aimé entendre parler d’émotions. Les émotions sont non seulement un moteur de changement, de motivation, de créativité, mais aussi une levier déterminant de la prise de décision d’achat. Dans les couloirs du salon, j’ai rencontré Datakalab. Son fondateur Frank Tapiro présente son entreprise comme une smartup. Il a préféré lever des clients plutôt que des fonds. Il a pour ambition d'intégrer des données émotionnelles au e-commerce. La société a développé une technologie qui permet d'enregistrer les réactions des clients au cours de leur visite sur un site e-commerce. Ils sont filmés, avec leur accord. En utilisant des algorithmes d'analyse de l'image, Datakalab extrait le niveau d'attention et d'émotion des individus, croise ces données émotionnelles avec des informations rationnelles (parcours, éléments vus sur la page, temps passé...) et rend compte de l'émotion de ses clients. Ils arrivent à fournir un "Emotional Product Ranking", classement qui permet d'identifier les produits générant le plus d'émotions et le plus d'engagement. Ca se teste !
Croire en ses produits
La question du sens, de la RSE et de l’impact était particulièrement présente cette année au salon NRF. En France, 65 % des consommateurs déclarent faire attention la manière dont les entreprises se positionnent vis-à-vis des enjeux sociétaux. C’est la même chose aux Etats-Unis (et j’imagine partout ailleurs). On n’a plus de plaisir à acheter quelque chose qui n’est qu’une nouvelle incitation à consommer. Dans cet esprit, la démarche de Patagonia m’a particulièrement touchée. Sa CEO Rose Marcario a raconté que sa société avait payé 10 millions de dollars de moins en 2018 grâce à la politique fiscale de Trump. Au lieu de réinvestir cet argent dans l’entreprise, elle a decide de les réinjecter dans la planète, et de financer les associations de protection de l’environnement. Sincèrement je ne sais pas si cet engagement ira jusqu’à me faire acheter leurs produits. Si North Face fait des blousons de ski plus beaux ou moins chers. Je suis curieuse de voir comment vont évoluer les jeunes marques très ancrées sur leur mission et soucieuses de leur impact sur l’environnement, les hommes, les jeunes generations, je pense en particulier aux magasins Phluid (gender free), Bottletop ou Fordays (mode circulaire), Akola project (bijoux 100% social impact), ou Chnge (genderless products, sustainable gabrics, transparent production, carbon neutral clothing). Il est certain que l’on cherche aujourd’hui, dans l’achat et au-delà, à se reconnecter à des valeurs, à une histoire, à du sens. Quelqu’un me disait que l’équation gagnante était "Strong values + excellent service". Un bon produit ne suffit pas. C’est probablement le mix authenticité+produit+service qui fera la différence.
Ce qui m’a manqué
J’aurais bien aimé écouter un échange entre grands noms du retail et fondateurs de start-ups sur les thèmes suivants : comment collaborer avec les jeunes pousses retailtech quand on est commerçant ? Dans quel cas gagne-t-on a les traiter en prestataires, partenaires, ou cibles d’acquisition potentielles ? A quel stade de leur développement cela fait-il du sens d’envisager un rachat ou une prise de participation, et à quelles conditions ? Pour innover et se réinventer, les grandes entreprises ont besoin de racheter des startups. Je vous avoue que ce sujet me semble tellement essentiel que, a défaut d’en avoir entendu parler au salon NRF 2019, j’ai décidé d’y consacrer un livre (plutôt un guide en fait, un baromètre) que je prépare avec "the one and only" Joseph Sartre du fond Bleu Capital et qui sera publié en juin, en français et en anglais. A suivre !
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