TF1 conteste à Bruxelles les aides publiques allouées à France Télévisions
Faute d'évolution autour de France Télévisions, sa concurrente TF1 s'en remet à Bruxelles : le groupe privé a déposé récemment plainte auprès de la Commission européenne pour "aide d'Etat illégale" au groupe audiovisuel public.
La plainte a été déposée en novembre et vient d'être notifiée à l'Etat français. La chaîne du groupe Bouygues y estime que le financement accordé à France Télévisions n'est pas assorti d'obligations précises ni de contrôles suffisants, en infraction au droit européen, a révélé Le Figaro dans son édition de mardi, ce qu'a confirmé TF1 à l'AFP. En jeu : la dotation publique accordée chaque année aux chaînes France 2, France 3 et ses 24 antennes régionales, France 4, France 5 et franceinfo, qui s'élève à 2,57 milliards pour 2024. "Il faut des obligations clairement définies pour prétendre à ce financement", soulignent les avocats chargés du dossier, Frédéric Mion et Benoît Le Bret, associés au sein du cabinet Gide et cités par Le Figaro. Ces obligations sont fixées dans un contrat d'objectifs et de moyens (COM) pluriannuel entre l'Etat et France TV, en cours de renouvellement mais jugé lacunaire par TF1. Le contrôle est étroit, fait valoir le secrétaire général du groupe public, Christophe Tardieu : "On est en dialogue permanent avec l'Etat, l'Arcom, les parlementaires". Il tacle auprès de l'AFP "des manoeuvres juridiques de garçon de bain" du côté de son concurrent privé. Son PDG Rodolphe Belmer est particulièrement à l'offensive ces derniers mois, tant sur l'offre de programmes, sur le numérique, que pour porter les intérêts de sa chaîne commerciale. Il n'est pas question, cependant, pour TF1 de contester en soi le service public mais d'obtenir un meilleur encadrement et une différenciation plus poussée avec les chaînes privées. Si la première chaîne de France recourt à l'UE, c'est qu'elle estime que le dossier est bloqué au plan national.
En mai, l'Association des chaînes privées (ACP), qui réunit TF1, M6, Canal+ et Altice (BFM, RMC), avait interpellé la première ministre d'alors Elisabeth Borne, en accusant France Télévisions de concurrence déloyale. Elle reprochait au groupe public présidé par Delphine Ernotte une "sous-exposition des œuvres et programmes relevant de ses missions de service public". Les chaînes privées dénonçaient aussi sur les chaînes publiques une "programmation étonnamment commerciale" et "des programmes de plus en plus proches de ceux diffusés sur nos antennes". La ministre de la Culture de l'époque, Rima Abdul Malak, avait écarté le grief, assurant que "les missions de service public sont remplies, en matière d'information, de création, de documentaires".
Une double fraude fiscale ?
TF1 a soulevé deux autres sujets dans sa plainte en novembre. D'une part, le gouvernement n'aurait pas notifié à Bruxelles le changement de modalité de financement, avec la suppression en 2022 de la "redevance télé" et son remplacement par l'affectation d'une fraction de TVA. D'autre part, le groupe pointe une "double fraude fiscale", avec la compensation par l'Etat depuis 2022 d'une taxe sur les salaires imposée à France Télévisions et avec le taux de TVA très réduit dont bénéficie le groupe public.
Quatre semaines pour répondre
Du côté du ministère de l'Economie et des Finances, sollicité par l'AFP, on se montre serein : "l'Etat verse des subventions à France Télévisions depuis sa création. L'affectation de TVA est une modalité de financement équivalente". "Le cadre juridique européen prévoit par ailleurs de nombreuses exceptions aux aides d'Etat en matière audiovisuelle", souligne-t-on à Bercy. Le ministère de la Culture n'avait pas réagi dans l'immédiat. L'Etat a quatre semaines pour répondre à la Commission, qui peut ensuite ouvrir ou non une procédure. "Nous avons reçu la plainte, que nous examinons selon nos procédures habituelles", a commenté l'instance européenne.
Ce n'est pas la première fois que TF1 contre-attaque à Bruxelles. En 1993, la chaîne de Martin Bouygues avait déposé plainte contre ces mêmes aides publiques, ce à quoi la Commission européenne avait répondu après dix ans d'enquête qu'elles compensaient les "coûts liés à l'accomplissement" de la "mission de service public". Après l'annonce, en 2008, de la suppression à terme de la publicité sur la télévision publique, la France avait annoncé une dotation en capital de 150 millions d'euros en faveur de France Télévisions, ce qu'avaient contesté TF1 et M6. Mais le Tribunal de l'Union européenne avait donné son blanc-seing à cette aide.