Procédures bâillons : Les eurodéputés permettent l’ouverture de négociations entre États membres
Les eurodéputés ont approuvé mardi de nouvelles règles pour protéger les journalistes et militants des droits humains des "poursuites bâillons" visant à les intimider et à les réduire au silence. Ce vote ouvre la voie à des négociations avec les États membres.
Réunis en session plénière à Strasbourg, les parlementaires européens ont voté à une très large majorité en faveur de ce texte (498 pour, 33 contre, 105 abstentions). La Commission européenne avait proposé en avril 2022 un projet de directive pour lutter contre ces procédures abusives, s'inquiétant de leur augmentation. Ces recours sont généralement introduits par des personnalités en position de pouvoir, dans le domaine économique ou politique, dans le but d'empêcher des révélations. "Il s'agit d'une tendance dangereuse qui nécessite une réaction en matière législative", a souligné au cours des débats la commissaire européenne chargée de la Transparence, Vera Jourova. "Notre objectif est clair : protéger les journalistes et d'autres acteurs importants de la société civile contre les procédures judiciaires abusives". La législation européenne s'attaque, pour des raisons de compétence, aux poursuites bâillons en matière civile et ayant un caractère transfrontalier, notamment les cas où le plaignant et la personne ciblée sont dans deux pays différents.
La proposition de la Commission entendait donner une interprétation large de cette dimension transfrontalière, en estimant que la directive pourrait s'appliquer même quand les deux parties se trouvent dans le même État membre mais que le litige relève de l'intérêt général et concerne aussi d'autres pays. Mais les États membres, qui se sont prononcés en juin sur ce projet de directive, ont restreint son champ d'application en supprimant ce passage du texte portant sur la définition du caractère transfrontalier d'une affaire, estimant que cette appréciation revenait aux juridictions nationales. A l'inverse, le Parlement européen élargit encore la définition de la dimension transfrontalière, estimant qu'elle peut s'appliquer dès que le sujet du litige est "accessible par des moyens électroniques". Il reviendra aux négociateurs du Parlement et du Conseil de tenter de se mettre d'accord sur un texte de compromis. Cette phase suscite la vigilance de l'ONG Reporters Sans Frontières (RSF), pour qui la position du Conseil, en revoyant "à la baisse" la proposition initiale, risque de "faire de la directive une coquille vide". "Le Conseil a rayé la disposition sur la réparation des dommages qui permettait à un journaliste de demander la réparation intégrale du préjudice matériel et immatériel subi du fait d'une procédure judiciaire abusive", s'alarme notamment l'ONG dans un communiqué. La menace de poursuites coûteuses peut avoir un effet dissuasif sur les journalistes, lanceurs d'alerte, défenseurs des droits humains ou de l'environnement. Ces procédures judiciaires abusives - connues sous l'acronyme anglais Slapp, pour "Strategic Lawsuits Against Public Participation" - ont connu une illustration dramatique avec l'assassinat en 2017 de la journaliste maltaise Daphne Caruana Galizia. Elle était visée au moment de sa mort, dans un attentat à la voiture piégée, par plus de 40 poursuites.