Journaliste sur les plateformes... "Le support n'est plus un sujet", selon Bénédicte Wautelet (CCIJP)

Bénédicte Wautelet
(© DR)
En mars, la Commission de la Carte d'Identité des Journalistes Professionnels (CCIJP) a célébré ses 90 ans. Pour l'occasion, sa présidente revient sur les évolutions de la Commission.
La présidente du CCIJP Bénédicte Wautelet (représentante du collège employeur), également directrice juridique du groupe Figaro, revient sur l'histoire de l'institution qui a soufflé 90 bougies en mars. Une histoire qui raconte par extension celle de la profession, allant de la précarité des pigistes, du journalisme sur les plateformes sociales ou plus récemment du développement de l’IA générative...
CB News : il y a 90 ans, comment la CCIJP voit le jour ?
Bénédicte Wautelet : La CCIJP est née de la loi Brachard, promulguée en mars 1935, par le député journaliste Émile Brachard. L’objectif est d’assurer au rédacteur de journaux toutes les dispositions du code de travail. Dans l’entre deux guerres, nous avions une loi très structurante, celle de 1881 sur la liberté de la presse, mais il n’existait rien qui encadre les liens entre les journalistes et les employeurs. Le journaliste n’avait par exemple pas la protection sociale, une clause de conscience, un salaire minimum ou des indemnités de licenciement. La loi crée la carte de presse et la première Commission, déjà paritaire, se réunit en mai 1936.
CB News : quels sont les éléments marquants de son histoire ?
Bénédicte Wautelet : La CCIJP a toujours été là quand il fallait évoluer. Dans l’entre deux guerres, les caméramen d’actualité n’avait pas le droit à la carte de presse, mais la CCIJP s’est adaptée aux évolutions de la profession, et en janvier 1939 ils obtiennent la carte. Cette dernière devient obligatoire à la sortie de la guerre en 1945, mais seulement pendant un an. Autre élément marquant, la loi Cressard de 1974 donne la présomption de salariat aux pigistes pour les protéger de la précarité. Quel que soit le mode de rémunération, permanent ou irrégulier, ils ont cette présomption de salariat. Dans les évolutions plus récentes : nous avons donné la carte de presse aux journaux gratuits et aux pureplayers. Aujourd’hui, le support n’est plus un sujet. Un réseau social ou une boîte de podcast peut être un titre de presse.
CB News : Quels sont les critères importants pour avoir une carte de presse sur ces nouveaux supports ?
Bénédicte Wautelet : Est-ce qu’il y a une rédaction, un directeur de publication et un rafraîchissement régulier des contenus ? Ce sont là les principaux critères. Pour le journalisme sur les plateformes sociales ou de vidéos, il y a aussi la question de la publicité. Il y a toujours eu de la publicité dans les journaux, et la presse a toujours vécu de sa présence. Mais la publicité doit être clairement différenciée du contenu informationnel. Le brand content par exemple n’est pas du journalisme. La publicité ne doit pas être susceptible de créer une confusion dans l’esprit du lecteur. (NDLR : dans l'ensemble, le premier critère demandé par la CCIJP est "a minima justifier de trois mois d’activité consécutifs pour une entreprise ou une agence de presse").
CB News : vos publications annuelles montrent toujours une précarisation du métier, surtout pour les femmes et pour les pigistes… Comment y remédier ?
Bénédicte Wautelet : Nous observons tous les ans cette évolution. Je pense qu’il faut avoir une prise de conscience. Il est très important pour nous de ne pas donner la carte de presse à des journalistes à qui leur employeur leur impose une collaboration sur facture. Si nous faisions cela, nous risquons de pérenniser et de cautionner une précarisation de la profession. Il ne faut plus que les entreprises passent par l'entrepreneuriat pour rémunérer des journalistes. Toutes les réglementations sont là, mais il faut les appliquer.
CB News : 90 ans plus tard, la carte de presse est-elle toujours un sésame pour la profession ?
Bénédicte Wautelet : J’ai tendance à le penser. Nous avons toujours un rôle à jouer pour dire c’est qu’est un journaliste. Plus que jamais avec l’apparition de l’IA générative. Des rédactions peuvent s’aider d’outils d’IA dans la mise en page d’article ou dans la traduction… Mais nous observons aussi des sites entiers conçus par l’IA, qui plagie des titres de presse. Nous n’avons pas vocation à donner la carte de presse à ces sites. Il faut continuer à se pencher sur ces sujets, toujours dans un souci permanent de transparence.
CB News : à l’automne dernier, une tribune publiée sur le blog de Mediapart a reproché à la CCIJP des discriminations, notamment l’interdiction de règlement pour les photos de femmes voilées. Comprenez-vous ces reproches ?
Bénédicte Wautelet : Nous nous sommes toujours conformés au règlement de la carte d’identité. Il y a environ 5 ans, nous avons totalement dématérialisé la demande de carte de presse. Tout n’était pas à jour. Certaines cartes avaient des photos de profils ou des photos qui dataient de 30 ans. Nous avons entrepris un travail de mise à jour des photos, car c’est une carte d’identité officielle.