Françoise Remarck, ministre de la Culture de Côte d’Ivoire : “le continent africain a eu un impact énorme sur Canal+"

Françoise Remarck, ministre de la Culture et de la Francophonie de Côte d’Ivoire.

Françoise Remarck, ministre de la Culture et de la Francophonie de Côte d’Ivoire.

(© Prisca Boa Yamoussoukro, Film producteur Jean-Pascal Zadi)

En marge du Salon international du contenu audiovisuel d'Abidjan (5-7 novembre), la ministre de la Culture et de la Francophonie de Côte d’Ivoire a détaillé pour CB News comment le pays entend devenir incontournable dans le marché audiovisuel mondial.

La Côte d’Ivoire a affiché cette semaine son ambition de devenir un incontournable du marché audiovisuel mondial lors du Salon international du contenu audiovisuel (SICA/5-7 novembre). En marge de l’événement, la ministre de la Culture et de la Francophonie de Côte d’Ivoire Françoise Remarck a partagé auprès de CB News ses réflexions pour concrétiser l’ambition du pays. Passée par le groupe Canal +, la spécialiste évoque entre autres le poids des plateformes de streaming, la poursuite des partenariats et le besoin de formation.

CB News : Avant d’évoquer l’édition 2024 du SICA, pourriez-vous revenir sur les retombées de la première édition qui s’est tenue l’année dernière ?

Françoise Remarck : Nous avons voulu prendre notre place dans un marché professionnel de l’audiovisuel. Nous assistions ce marché, notamment en Afrique du Sud, mais nous n’avions pas la main dessus. La première édition était là pour montrer notre ambition. Nous sommes restés concentrés sur l’écosystème ivoirien, car il était important de tester la pertinence et l'intérêt d'un salon dans le pays. Et c’est une belle réussite. Le succès se voit par la qualité des personnes que nous faisons venir cette année. Nous passons désormais à la deuxième phase qui est de montrer l'attractivité de la Côte d’Ivoire. Notre secteur audiovisuel est plein de vitalité avec une offre assez riche et variée.

CB News : Qu’est-ce qui fait la vitalité de votre audiovisuel ?

Françoise Remarck : L’espace audiovisuel ivoirien a été libéralisé tardivement (ndlr : en 2019 quatre chaînes privées ont complété l’offre publique). Avant d’ouvrir des chaînes de télévision privées, nous voulions nous assurer que leur modèle économique pouvait exister à côté des chaînes nationales. Aujourd’hui, chacune a sa place avec des thématiques différentes qui plaisent au public ivoirien. La présence de ces chaînes sur le satellite montre également en dehors du pays l’identité culturelle ivoirienne. La vitalité se traduit aussi par 80 productions nationales en 2024 et par nos infrastructures de diffusion. Un cinéma Pathé a ouvert au début de l’année à Abidjan. Après la Tunisie, le Sénégal et le Maroc, la Côte d’Ivoire est le 4e pays en Afrique à avoir un cinéma Pathé. Cela signifie que Gaumont Pathé croit en notre attractivité et en notre public ivoirien d’aller au cinéma.

Inauguré mardi 23 avril à Abidjan

Le cinéma Pathé Cap Sud, iauguré le 23 avril à Abidjan (Côte d'Ivoire). (© DR)

CB News : Comment le SICA peut renforcer votre attractivité à l’internationale ?

Françoise Remarck : Notre événement permet d’attirer des professionnels afin d'avoir un partage d’expérience et de nous projeter. Quand nous recevons Alex Berger (ndlr : producteur du Bureau des Légendes…), nous avons la possibilité de voir comment grâce au cinéma, nous pouvons avoir une influence et atteindre un marché comme les Etats-Unis. Le cinéma a tellement de modèles dans le monde. Nous allons nous inspirer de ce qui existe déjà, mais aussi nous demander quel est notre propre modèle, en prenant en compte les caractéristiques de notre marché. Des questions se posent comme par exemple sur la protection intellectuelle de nos auteurs. Comment la défendre face à des plateformes ?  

CB News : quelle serait la place des plateformes, comme Netflix qui n’est pas encore présente en Côte d’Ivoire, dans votre marché audiovisuel ?

Françoise Remarck : Les plateformes sont une magnifique opportunité, car elles ouvrent un champ des possibles. Nous allons avoir besoin d’eux. En 2050, nous serons 2,5 milliards d’habitants sur le continent africain. La capacité de payer et de consommer du contenu va devenir une évidence. Mais je pense qu’il y a un prérequis avant d’accéder à des plateformes et de se sentir obligé de diffuser dessus. Une mise à disposition de contenu sur Netflix ou autre, nécessite d’avoir une réflexion sur le type de contenu que nous voulons y mettre, le type de modèle et surtout comment nous restons propriétaire de notre patrimoine intellectuel. Je ne souhaite pas à nos enfants demain d’aller chercher notre patrimoine cinématographique, car nous ne l’aurions pas assez protégé, comme aujourd’hui nous le faisons avec la restitution de biens culturels. Le SICA permet de réfléchir à ce type de problématique et de regarder les bonnes pratiques qui existent déjà ailleurs. La prise de parole du responsable du CNC Olivier Henrard (ndlr : président par intérim) était très intéressante. Il a montré que le rapport de force avec les plateformes ne s'est pas fait juste avec la France, mais avec toute l'Union européenne. Nous devons aussi avoir cette réflexion ensemble sur le continent africain.

CB News : Vous avez travaillé au sein du groupe Canal + (directrice financière et PDG d’une filiale en Côte d’Ivoire lancée au début des années 1990 puis directrice de la communication et des relations institutionnelles Canal+ Afrique en France…). Que représente aujourd’hui le poids de cet éditeur dans votre marché ?

Françoise Remarck : Canal + est l’un des plus grands investisseurs du cinéma en France. Son arrivée en Côte d’Ivoire a eu lieu avec la même approche. J’ai eu la chance de voir comment le groupe s’est transformé grâce au continent africain. En réalité, le continent africain a eu un impact énorme sur la transformation de Canal +. Le contenu au départ s’adressait à un public haut de gamme avec un contenu francophone qui reprenait à plus de 90% le contenu de Canal + France. Il fallait aussi avoir la capacité d’avoir des producteurs et réalisateurs capables de produire au standard de la marque. Cela a pris du temps, mais la tendance s'est totalement inversée. Aujourd’hui, le groupe propose toujours beaucoup de sport, mais la place que les séries de qualité prennent est plus présente. Canal + a contribué à financer, structurer et professionnaliser le secteur. Mais Canal+ a aussi bénéficié de la qualité de cinéma et de série produite sur le continent. La plupart de ses séries produites avec des réalisateurs ivoiriens ou utilisant du narratif Africain raflent pratiquement tous les prix dans les festivals.

CB News : Qu’entendez-vous par “narratif africain” ?

Françoise Remarck : Qu'est-ce que le narratif coréen, indien… ? Celui qui s’appuie sur nos valeurs et nos identités. Notre marqueur en Côte d’Ivoire est l’humour et l’autodérision. Notre capacité à traiter des sujets de société parfois grave, mais avec de la légèreté… Nous avons traversé une crise en 2011 (ndlr : crise post-électorale), mais l'autodérision nous a permis de prendre un peu de recul. Le peuple ivoirien est aussi un peuple hospitalier. Nous sommes un pays d'intégration avec près de 26% de la population qui est non ivoirienne soit environ 6 à 7 millions de personnes qui participent à ce brassage, à ce vivre-ensemble.

CB News : Quel budget disposez-vous pour l’audiovisuel ?

Françoise Remarck : Nous avons un fonds de soutien à l’audiovisuel d’environ 1,2 million d’euros. Ce n’est évidemment pas suffisant, mais la vraie question ce n’est pas le financement que nous pouvons trouver au niveau étatique. Notre rôle est de permettre que toutes les conditions soient réunies pour qu’un secteur puisse s’exprimer. L’Etat doit obligatoirement accompagner les aides au développement du scénario. Le reste peut être pris en charge par le secteur privé. À l’international, nous avons des accords de coopération avec le CNC français, le Centre Cinématographique Marocain, au niveau régional l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) vient de lancer un fonds d’investissement totalement dédié à la culture de 200 milliards de francs CFA (ndlr : environ 306,3 millions d'euros)... La capacité d'avoir du financement n’est plus inexistante comme il y a 10 ans. Le gouvernement a récemment mis à disposition un guichet d’un million et demi pour accompagner les sociétés de production. L’Agence française de développement vient d’allouer la Côte d’Ivoire de 17 millions d’euros, dont une partie permettra de réhabiliter un espace culturel et une autre partie au renforcement des compétences des acteurs culturels. Si nous n’avons pas derrière des acteurs formés pour pouvoir absorber ces financements, cela ne sert à rien.

CB News : Quels sont vos besoins en formation ?

Françoise Remarck : La post-production n’existe quasiment pas ici. Elle se fait via des accords comme avec le CNC. Certaines structures commencent à se mettre en place, mais c’est encore très lent. Tous les métiers techniques comme les cameraman ou même un électricien spécialisé, manquent aujourd’hui à l’appel. Nous sommes obligés d’avoir recours à une compétence hors Côte d'Ivoire comme au Burkina Faso qui grâce au Fespaco a pu mettre en place des écoles. Chez nous, le groupe Canal + est en train de construire un studio pour ses propres contenus. De notre côté, nous travaillons aussi sur les infrastructures. Mon souhait est d’avoir des grands studios ici, notamment d’animation. Ce secteur est une belle opportunité pour développer les effets spéciaux dans le pays.

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