Français d'adoption (4)
Yv Corbeil, canadien, DC de Big Youth, nous livre sa vision de la création française. Dans le mag de février, nous avons demandé à quelques directeurs de création étrangers comment ils percevaient la création française de l'intérieur. Vue la richesse de leurs réponses, nous avons décidé de publier leurs contributions dans leur intégralité.
Quand je suis descendu de l’avion pour venir m’installer en France en 2007, ce qui m’a le plus frappé, outre la campagne électorale, c’est que la pub d’ici était pour le moins bicéphale : sensuelle, séduisante et aguicheuse par sa DA mais tellement rationnelle et cérébrale par ses idées, sa rédaction. Moi qui était habitué à une DA brute de décoffrage, certains diront « à la tronçonneuse », mais avec des idées qui prennent au ventre, aux tripes. La question mérite d’être posée : est-ce une particularité liée au marché, à l’organisation de celui-ci ? En fait, est-ce le process jumelé au recrutement qui veut que plus de DC soient des DA à la base et que cela donne une surreprésentation de ceux-ci… franchement, je doute que ce soit la clé.
Par contre, il m’a semblé rencontrer beaucoup de DA qui ne touchaient pas à l’idée… ce qui pour le coup m’a plus que surpris. Petit aparté, j’ai toujours cru que les DA auraient dû s’appeler CA puisqu’ils devraient participer au concept, au même titre que les CR. Idem pour certains développeurs en cette ère digitale qui sont amenés à devenir des concepteurs-développeurs. C’est pour cela que j’ai mis en place des trios chez Big Youth : des C.A.R.D pour concepteur artistique, concepteur-rédacteur et concepteurdéveloppeur. Ces trinômes permettent de mettre l’idée – le concept – au centre, et surtout ça permet d’optimiser l’idée en amont. D’où mon titre de directeur de l’Idéation (un ancien terme français, héritage québécois qui est le mien ;-) qui permet de décorréler l’idée de la création (réalisation), surtout sur des campagnes véritablement intégrées. Humblement, je n’ai toujours pas de Lion Integrated ni de Titanium, mais pour rebondir sur votre question concernant Cannes, je suis d’avis que, puisque les règles changent, il s’agit là d’une piste viable, d’une posture de création efficiente permettant d’y parvenir.
Pour moi, les idées sont la moëlle épinière du corps publicitaire… pour que celui-ci aille plus loin, soit plus en forme, se dépasse, il faut que nos réflexes changent !
Enfin, pour parler des silos, je n’ai jamais compris en quoi cela correspondait aux réalités des consommateurs, c’est-à-dire que personne n’est exposé qu’à un seul média, qu’à un seul canal, qu’à un seul message d’une marque… ne serait-ce qu’une seule journée. Non, surtout pas en 2012. Ainsi, à mon avis, les silos devraient tendre vers des hangars… d’idées. Enfin, j’aime viscéralement le marché publicitaire français, parce que contrairement à la réputation qu’il traîne sur la scène internationale, je le vis chaque jour, certes avec ses imperfections, mais surtout avec sa grande ouverture d’esprit… Il n’y a quand même qu’ici où un DC étranger peut s’occuper de la stratégie digitale d’un candidat à la présidentielle 2012 comme François Bayrou.
note : il s'agit ici d'une réputation (stéréotypes, etc.) avec lesquels je ne suis pas entièrement d'accord et qui ne réflètent pas mon point de vue... Mais comme tu veux savoir... à l'international, on entend tout et n'importe quoi sur les français ;-) et sur le marché publicitaire français. Par exemple, que c'est un grand marché fermé parce que trop pistonné, donnant davantage une chance aux "fils de", "amis de", "connaissance de" qu'au mérite brut. Que c'est un marché qui regarde de haut les autres marchés mais qui envie les prix gagnés par ces mêmes marchés.
Enfin, anecdote marquante pour moi... une vieille campagne du Club Med était sortie simultanément partout dans le monde (ce devait être en 98-99) incluant le Québec... dont le slogan était : être-re. Personne, mais alors là personne n'avait compris... ça avait fait un buzz négatif monstre à la télé, etc... parce que si avec l'accent français, ça donne être heureux, avec l'accent québécois, ça donne juste être-re ;-)
Pas vraiment de lien avec la réputation, mais drôlissime ;-°