Du pire au moins mauvais des scénarios pour l’information en 2050 selon l’INA

écrire

Dans le cadre des Etats généraux de l’information qui ont rendu public jeudi dernier leurs 15 propositions, l’Institut national de l’audiovisuel (INA) avait quant à lui adressé à ceux-ci une « contribution singulière ». En effet, sous le titre « Le futur de l’information en 2050 », la société publique a souhaité pour sa part piloter un rapport de prospective. Il comprend dans les faits trois scénarios présentés comme des avenirs possibles, « pour alerter sur les risques critiques, attirer l’attention sur les opportunités à saisir et identifier des leviers d’action possibles », avance-t-elle. Ce document de 24 pages est le fruit d’une quarantaine d’auditions de personnalités évoluant dans l’univers des médias (journalistes, dirigeants), de la prospective, de la recherche, des études, de l’armée, de la régulation et, même, de la science-fiction. Ces scénarios « ont été dessinés à partir d’une matrice projetant les effets possibles » de cinq grandes transformations (technologique, économique, politique, sociétale et écologique) sur l’écosystème informationnel.

Les trois scénarios possibles

- Le Miracle informationnel : un scénario très optimiste, ou « clair », qui promet en 2050 un âge d’or de l’information, dans lequel les citoyens ont pris en main leur destin informationnel.

« La plupart des citoyens ont ainsi renoué une relation de confiance avec les médias. Ils participent au financement de la production de l’information – payer pour s’informer est désormais considéré comme relevant de la responsabilité civique (…) La plupart des tâches journalistiques techniques (écriture, production d’images, montage) ont été très largement automatisées par l’IA, sous contrôle humain. Les journalistes se concentrent donc sur l’analyse, l’investigation, les choix éditoriaux, l’exploration de nouvelles thématiques, de nouveaux formats, de nouveaux services, et sur l’éducation aux médias (…) les médias ne peuvent plus faire appel à la publicité pour couvrir leurs coûts de production et réaliser des bénéfices. Les utilisateurs ont en effet développé une aversion à l'égard de la publicité en raison des impacts écologiques négatifs de la consommation excessive et d’une plus grande sensibilité à la captation et à l’exploitation des données personnelles (…) Les producteurs d’information s’appuient donc sur la rémunération versée par les grands acteurs de la tech sous forme de redevance et de droits voisins, ainsi que sur le financement direct par les consommateurs. De fait, en 2050, une large proportion des citoyens contribue au financement de l’information (…) Ils y sont aidés par la diversification des formules de contribution financière proposées par les producteurs d’information : dons, paiement au contenu, abonnement transverse à un panel de services numériques, tarification personnalisée au fil de la vie  (…) Les pouvoirs publics continuent d’encadrer l’écosystème informationnel pour garantir la production d’une information indépendante, de qualité et plurielle. Conséquence capitale, l’information a cessé d’être un enjeu de prédation capitalistique pour les puissances économiques. Elle est peu rentable, mais suffisamment pour se passer d’investisseurs (…) les pouvoirs publics ont mené une politique active de régulation. D’une part, en instaurant des mesures de souveraineté numérique consistant à déployer de puissants garde -fous à l’échelle européenne et nationale et à discipliner les puissantes firmes de la tech ».

- L’information liquéfiée : un scénario très pessimiste, ou « obscur », qui envisage la mort de l’information et le chaos informationnel. Les citoyens ont décroché de l’information, devenue trop volatile.

«  Dès la fin de la décennie 2020, les grandes entreprises du numérique ont définitivement capté le marché de la publicité. L’assèchement des recettes publicitaires a conduit tous ceux qui en dépendaient, même partiellement, à la faillite. Plusieurs acteurs de l’information autrefois essentiels sont devenus une cible de choix pour ceux-là mêmes qui les ont privés de cette source de revenus. Certains ont été intégrés, dans une logique de concentration horizontale, à ces grandes firmes du numérique qui contrôlent désormais toute la chaîne de valeur, des matières premières aux terminaux en passant par l’infrastructure. Les autres sont réduits à un rôle de sous-traitants, fournisseurs de données dites « propres ». Dotée jadis d’une valeur commerciale directe (par la publicité, la vente au numéro ou à l’abonnement), l’information n’a plus, pour ces grands acteurs du numérique, qu’une valeur indirecte (…) La désintermédiation initiée par les réseaux sociaux au début du xxie siècle, couplée aux progrès de l’intelligence artificielle générative a donné nais-sance à une industrie du faux sans précédent. Parler de « faits », de « vrai » qui serait opposé au « faux », est, depuis le début des années 2030, devenu impossible (…) ce sont finalement les publics eux-mêmes qui ont donné le coup de grâce à la notion de vérification, en décrochant de l’information. Ils ont tout simplement fini par s’en détourner complètement, démunis devant le coût de plus en plus élevé de vérification leur incombant en bout de chaîne. Pris en étau entre le déluge d’informations et l’indistinction des contenus, les citoyens ont fait un choix radical : celui de l’évitement (…) la capacité des journalistes à endosser la moindre responsabilité­ vis-à-vis de l’information est tombée d’elle-même (…) le concept de correction et de transparence vis-à-vis des audiences a disparu au moment où l’information est devenue dépourvue de valeur par elle-même (…) Sous l’effet d’une double pression croissante, à la fois budgétaire et politique, les médias du service public ont été démantelés. Faute de pouvoir marquer leur singularité et leur utilité, ils ont été purement et simplement cédés au tout début des années 2040, après dix années de mise en concession, tels des autoroutes (…) acculé à l’impuissance économique, l’État s’est résolu à déléguer la régulation de l’espace informationnel à l’oligopole de la tech. Sans parvenir à lui imposer autre chose qu’une ­obligation de moyens a minima (…) quelques rares médias indépendants subsistent et produisent une information plus tradi-tionnelle. Mais ils ont évidemment perdu toute visée généraliste, et tout caractère universaliste. Ils sont financés par une élite, capable de payer, cher, pour de l’info. Plus que véritablement intéressé par l’info, elle en fait un usage d’abord quasiment professionnel, voire de distinction sociale (…) L’interface clé d’accès à l’information ? Notre assistant personnel. Ils deviennent un reflet de la hiérarchie sociale au sein de la société et l’IA, présente dans toutes les sphères de la vie, a rigidifié ce tableau. En 2050, c’est du type d’assistant personnel d’un individu que l’on inférera sa position sociale : « Dis-moi quel est ton assistant personnel, je te dirai qui tu es ! »

- L’information éclatée : un scénario médian, ou « clair-obscur », dans lequel l’information est fragmentée et où les citoyens n’adhérent plus à une information commune.

«  La bulle a éclaté. La technologie, en particulier l’IA générative, n’a pas tenu toutes ses promesses. Elle n’est pas parvenue à franchir une étape décisive : produire du vrai. Les moteurs de réponse sont ainsi cantonnés à des domaines précis et n’ont pas supplanté les moteurs de recherche. De la même façon, les gains de productivité dans la production d’information, sans être anecdotiques, n’ont pas compensé l’étiolement des recettes publicitaires ni les investissements colossaux requis par cette promesse illusoire. Cet échec, qui a émoussé la hype technologique dans le secteur de l’information, a facilité, en Europe, l’adoption d’une mesure impensable il y a vingt ou trente ans : la limitation du nombre de terminaux par foyer, motivée par l’impératif de réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre et des préoccupations de santé publique (…) L’IA, en revanche, a bel et bien engendré une saturation du champ informationnel par une croissance infinie du nombre de contenus disponibles, dont la nature demeure indiscernable. La population a appris à vivre avec (…)  Les grands médias de masse capables de s’adresser à l’ensemble de la population ont disparu. Ils ont souffert de la concurrence d’une myriade d’acteurs (amateurs, influenceurs, médias de niche, producteurs de divertissement…) dans la captation de l’attention du public, de la quasi-disparition des recettes publicitaires, de l’insatisfaction voire de la défiance d’une partie de la population quant à l’information (qualité, angles, thématiques…) et à ses producteurs, et de la réduction drastique des aides publiques. Plusieurs ont fusionné après une phase de collaboration en réseau (…) Ces quelques marques, qu’elles soient adossées à un groupe industriel aux activités multiples, détenues par des fondations, ou indépendantes, parviennent à maintenir une information généraliste, à destination d’un public solvable, donc forcément plus réduit qu’au cours des précédentes décennies (…) La segmentation du paysage informationnel découle aussi d’une demande sociale non pas d’information « sur mesure », comme certains l’imaginaient ou le rêvaient par le passé, mais d’« information confortable » ne venant pas perturber le bien-être ou le système de valeurs des citoyens (…) Alors que les plus jeunes aspirent davantage à une information à la fois fiable, indépendante, commune et déliée de tout autre cause que celle de savoir et de comprendre ce qu’il se passe autour d’eux pour s’orienter dans le monde, l’aspiration à une information « confortable », en phase avec ses valeurs ou ses intérêts, est particulièrement forte chez les 40- 60 ans. Elle nourrit une offre accrue de médias affinitaires et serviciels capables de couvrir­ des niches auparavant délaissées et pour lesquelles existait une demande insatisfaite (…) Face à ce phénomène, les grandes entreprises souscrivent pour leurs salariés des abonnements auprès de quelques grands médias. Cette décision s’est imposée à elles non pas pour des raisons altruistes, mais par calcul économique. Garantir un niveau minimum d’informations communes apparaît indispensable à la collaboration entre salariés, à la compréhension de l’environnement et du marché des entreprises, et donc à leur activité (…) L’éclatement du champ informationnel, conduisant à l’affaiblissement de la fonction de « synchronisation sociale » auparavant dévolue aux médias, et le morcellement de l’espace public déstabilisent le fonctionnement démocratique. Il devient de plus en plus difficile, non pas de s’accorder sur les réponses à apporter à tel ou tel enjeu collectif, mais tout simplement de se mettre d’accord sur les enjeux à traiter ».

L'intégralité du document est à télécharger ► ici.

À lire aussi

Filtrer par