Le Canard Enchainé : les soupçons d’emploi fictif entrent dans la phase procès

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Un emploi fictif au Canard enchaîné, le journal à l'origine des révélations sur l'emploi fictif de Penelope Fillon? Deux ex-dirigeants historiques, un ancien dessinateur et la compagne de ce dernier comparaissent à partir de mardi pour des abus de biens sociaux au préjudice de l'hebdomadaire satirique.

L'affaire, révélée par le journaliste Christophe Nobili, a provoqué une profonde crise interne dans ce titre centenaire, célèbre pour ses calembours, ses caricatures et les nombreux scandales politiques et économiques qu'il a dévoilés. Pendant quatre jours, Michel Gaillard, président du Canard de 1992 à juillet 2023, Nicolas Brimo, qui lui a succédé, l'ancien dessinateur André Escaro et sa compagne Edith Venderdaele, seront jugés devant la 11e chambre correctionnelle du tribunal de Paris. Ils devront répondre d'abus de biens sociaux ou recel de ce délit, déclaration frauduleuse pour obtenir une carte de presse, faux et usage de faux et déclaration frauduleuse à un organisme social. Leurs avocats veulent toutefois demander le report du procès en raison des problèmes de santé des prévenus, Nicolas Brimo, 73 ans, et André Escaro, 96 ans. L'affaire éclate en mai 2022. Christophe Nobili, l'un des journalistes à l'origine des révélations sur les emplois fictifs de l'épouse de François Fillon pendant la campagne présidentielle 2017, porte plainte contre X. Il dénonce le fait que la compagne d'André Escaro, dessinateur et ex-administrateur du journal, aurait bénéficié pendant 25 ans d'une rémunération du journal sans y avoir travaillé. Selon un rapport de synthèse de juillet 2023 de la brigade financière, révélé par Mediapart et dont l'AFP a eu connaissance, André Escaro a expliqué aux enquêteurs qu'une fois parti à la retraite en 1996, il avait continué à envoyer chaque semaine des dessins et qu'il s'était mis d'accord avec les dirigeants du journal pour que sa compagne, qui lui apportait "une contribution morale et technique à la préparation des caricatures", soit rémunérée par le journal.

Or, "la seule action tangible" ressortie des investigations est que Mme Vanderdaele a transmis les dessins "chaque semaine par fax ou par mail au Canard enchaîné", précise le rapport. Le préjudice a été évalué à près de 1,5 million d'euros entre 2010 et 2022, période retenue par les enquêteurs, les faits commis avant 2010 étant prescrits. "Les manœuvres des anciens dirigeants ont occasionné plusieurs millions d'euros de préjudice pour le Canard, et surtout, ont fait peser un risque sur sa crédibilité", a déclaré à l'AFP Me Pierre-Olivier Lambert, avocat de Christophe Nobili. "La justice doit maintenant sanctionner fermement les abus de ces dirigeants qui ont manifestement privilégié leurs intérêts personnels à ceux de ce journal historique", a-t-il ajouté. Selon l'avocat, six autres actionnaires du journal, dont le rédacteur en chef historique Claude Angeli, vont se porter partie civile au côté de Christophe Nobili lors du procès. En mars 2023, ce dernier a publié "Cher Canard" (JCLattès), un ouvrage revenant sur toute cette affaire, qui a mis au jour des fractures au sein de la rédaction.

Après sa parution, la direction a déclenché une procédure de licenciement à l'encontre du journaliste, mais a été déboutée à quatre reprises, par l'inspection du travail et par le ministre, selon Me Lambert. Un nouveau recours a été lancé par le Canard devant le tribunal administratif. De son côté, M. Nobili a intenté une procédure pour harcèlement contre Nicolas Brimo et Michel Gaillard, avec le soutien des syndicats SNJ-CGT et SNJ. Une audience devant le conseil des prud'hommes est prévue le 29 novembre. Par ailleurs, l'hebdomadaire a déposé en mars 2024 une plainte, s'estimant victime d'une "perquisition numérique illégale" via un "lien" numérique fourni par M. Nobili. Cette plainte a été classée sans suite en juillet pour absence d'infraction, mais le journal a déposé une autre plainte avec constitution de partie civile pour obtenir la saisine d'un juge d'instruction.

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