Les alliances se multiplient dans le streaming, en quête de rentabilité
Les géants américains du streaming multiplient les projets d'offres combinées pour attirer de nouveaux abonnés, renforcer leur force de frappe publicitaire et atteindre la rentabilité, le Graal que seul Netflix a décroché pour l'instant.
Disney+, Hulu et Max. ESPN, Warner Bros. Discovery et Fox. Netflix et Max. Ces bouquets d'un nouveau genre ont ou vont faire irruption, cette année, dans le paysage ultra-concurrentiel de la vidéo en ligne aux Etats-Unis, des unions encore impensables il y a quelques années. Pour qui s'abonne à toutes les principales plateformes, "cela finit par coûter plus cher que les bouquets traditionnels" de chaînes, comme le câble, a souligné Jeff Shell, futur président du nouveau groupe formé par le rapprochement entre le studio Skydance et Paramount Global, lors de la présentation du projet, début juillet. "La situation n'est donc pas tenable pour les consommateurs", a-t-il martelé. "Il va finir par y avoir des regroupements, plus simples" et moins onéreux. "Les combinaisons réduisent le turnover", explique par ailleurs Mark Boidman, de Solomon Partners. "Quand on veut voir une série, on peut s'abonner et annuler" une fois qu'on l'a vue. "Mais avec un bouquet, il y a plus de contenus attractifs. Il devient plus difficile" de se désengager. "Les abonnés éphémères sont un vrai sujet pour cette industrie qui cherche un modèle économique comparable à la grande époque du câble" américain, ajoute Jamie Lumley, analyste de Third Bridge.
Le "StreamSaver", proposé par le câblo-opérateur Comcast, inclut Peacock, Netflix et Apple TV+ pour 15 dollars par mois, soit 35% de moins que l'abonnement à ces trois plateformes. Une source proche du dossier a indiqué à l'AFP que le tarif du bouquet composé de Disney+, Hulu et Max, attendu d'ici fin 2024, serait aussi inférieur à celui des trois services souscrits individuellement.
L'enjeu des données
"Cela va cannibaliser certains des abonnés (existants)" et compresser les marges en faisant baisser les revenus par client, "mais cela va aussi en attirer de nouveaux", résume Michael Smith, professeur de technologies de l'information à l'université Carnegie Mellon. Or, mis à part Netflix, qui a encore publié jeudi un bénéfice net supérieur aux attentes, le streaming reste déficitaire pour toutes les grandes plateformes, de Peacock à Max, en passant par Disney+, qui promet un passage dans le vert au quatrième trimestre. Outre l'effet d'échelle, attendu en séduisant plus de téléspectateurs, le succès d'une alliance passe par la publicité, revenue en grâce, y compris chez Netflix, après avoir longtemps été répudiée par la vidéo à la demande. "Les alliances vont leur permettre d'agréger des audiences qui pourront être visées" par les annonceurs, "grâce à des données de première main, qui vaudront cher", explique Mark Boidman. "La difficulté va être de déterminer qui a accès à ces données et comment vous les partagez" entre partenaires, prévient Michael Smith. "Et si vous vous séparez, qui les garde?" Une union peut aussi donner un avantage dans l'achat de contenus.
ESPN, Warner Bros. Discovery et Fox ont livré peu de détails sur leur collaboration, qui doit donner naissance à une plateforme dédiée au sport, mais une mutualisation est susceptible de leur offrir une force de frappe supplémentaire dans les négociations avec ligues et organisateurs d'événements. "Les diffuseurs doivent s'unir pour acquérir des droits sportifs car ils sont devenus extrêmement chers", fait valoir Mark Boidman. "Cela réduit le nombre de prétendants (...) et diminue les risques" pour chacun des partenaires. Pour Michael Smith, ce sont surtout les groupes venus de la télévision traditionnelle qui ont intérêt à s'entendre car leurs modèles sont similaires. Dans le cas de Netflix, les deux bouquets qu'il a rejoints sont le fait de câblo-opérateurs, ce qui lui permet d'aller chercher les abonnés au câble, population traditionnellement moins tournée vers le streaming.
Ces offres groupées d'un nouveau genre préfigurent une consolidation, selon Michael Smith. L'unification entre Disney+ et Hulu ainsi que la fusion entre Warner Bros. et Discovery sous l'étendard Max en sont de premiers exemples. "Je ne pense pas qu'on verra un jour une plateforme unique", prédit l'universitaire, "mais en avoir quinze comme aujourd'hui, ce n'est pas durable".