Éric Garcia (CSA) : pour Noël, « les clients du luxe vont aller puiser leur inspiration via une combinaison de sources off et on-line »

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La société CSA publie « Achats Luxe & Beauté - Noël 2022 », une étude qui entend scruter le rapport des consommateurs à leurs achats de ces types de produits pour ces fêtes de fin d’année. Entre crises en tous genres, volonté tout de même de faire et se faire plaisir, il reste aux marques quelques marges de manœuvre pour convaincre les encore hésitants. Éric Garcia, directeur du pôle Luxe de CSA, décrypte cette enquête en exclusivité pour CB News. Interview.

CB News : Un contexte compliqué (inflation, crise énergétique, situation géopolitique...), pourtant les Français entendent dépenser autant que les autres années… Ce n’est pas la crise pour tout le monde ? Ou plus simplement une envie d’enfin se lâcher après une longue période trouble ?

Éric Garcia : Si le contexte actuel pèse sur tous les Français, on observe cependant que l’impact sur leur porte-monnaie varie en fonction des catégories de population que l’on interroge. Notre étude CSA, réalisée auprès des acheteurs de produits de luxe, révèle que 3 personnes sur 4 maintiendront leurs dépenses à Noël. Une bonne partie d’entre eux (21%) les révisera même à la hausse.

Au-delà de l’envie de se lâcher ou de compenser, qui concerne tout de même 35% de notre échantillon, on a la sensation que cette frange de la population plus aisée est moins affectée par le contexte morose et peut se permettre de ne pratiquement rien changer à ses habitudes.

CB News : Est-ce seulement une question de générations ?

Éric Garcia : Si nous analysons le profil des personnes qui dépenseront plus, nous pouvons affirmer que c’est avant tout une question de générations. En effet, les moins de 35 ans sont 2 fois plus nombreux à envisager une augmentation de leur budget consacré aux achats de Noël.

Mais, c’est également une question de typologie de clientèle. Ainsi, les acheteurs des catégories les plus onéreuses (comme l’habillement, la maroquinerie, la joaillerie ou l’horlogerie) seront plus généreux que les acheteurs de produits de beauté prestige cette année.  

CB News : Quels sont les types de produits qui font clairement l’objet des intentions d’achats ?

Éric Garcia : Au niveau des catégories, les produits de luxe - hors beauté - dominent les projections auprès des acheteurs de luxe avec 81% d'intention d'achat, quand les produits de beauté prestige réunissent 72%.

Si l’on s’intéresse à la typologie de produits, deux stars incontestées émergent : les parfums avec 57% d'intention d'achat et les vêtements avec 46%. À noter que ces catégories de produits seront probablement achetées dans les mêmes proportions que l'an dernier. Les soins (28%), les accessoires (26%) et les chaussures (26%) arrivent à la suite du classement.

On observe par ailleurs, que cette année, la tendance est nettement à la hausse pour des catégories plus niches comme l’horlogerie ou la joaillerie. Cela concerne aussi des catégories comme le maquillage, la maroquinerie ou les accessoires.

CB News : Y-at-il cette année des types produits en retrait par rapport aux années précédentes ? Si oui, pourquoi ?

Éric Garcia : Nous n’avons observé de baisse marquée pour aucun des produits de luxe étudiés. Dans le pire des scénarios, nous constatons un équilibre entre les intentions à la hausse et celles à la baisse, témoignant d’une extrême stabilité.

Toutefois, une proportion importante d’acheteurs de produits de beauté de luxe n’en achètera pas cette année (28%). La principale raison évoquée est que la catégorie n’est tout simplement pas envisagée à Noël (39%). Quant à la minorité (18%) des acheteurs de biens de luxe (hors beauté) qui n’en offriront pas à Noël cette année, 35% évoquent en premier lieu l’aspect financier.

CB News : Les fêtes de Noël sont proches, pourtant selon votre enquête, l’indécision quant aux achats prime…  Est-ce un scénario habituel ?

Éric Garcia : Oui, c’était déjà le cas l’an dernier. Une très grande majorité des acheteurs de luxe semble, encore une fois, partiellement indécise à l’approche des fêtes. 

Forts de ce constat en 2021, nous avons décidé cette année de repousser l’enquête de quelques semaines pour nous assurer qu’il n’y ait pas un effet « j’ai encore le temps ». Hypothèse que nous avons pu écarter car les interroger à une date plus proche des fêtes n’a rien changé quant à leur indécision. Les répondants confirment être toujours partiellement à la recherche du cadeau idéal.

À noter que ce sont les plus âgés qui semblent les plus indécis, peut-être faute de temps ou parce qu’ils ont un plus grand nombre de cadeaux à faire.

CB News : Si l'indécision prime, est-ce à dire qu’il y a une large marge de manœuvre pour les marques de luxe pour se montrer convaincante ?

Éric Garcia : Oui et d'ailleurs nous constatons actuellement que les marques l’ont bien compris. Les dernières semaines et probablement les derniers jours sont des périodes cruciales pour les achats de produits de luxe pour Noël. Cette clientèle, notamment la tranche la plus âgée, avec le plus de moyens, est toujours en quête d’idées. À vos médias mesdames et messieurs les annonceurs, le cœur et le portefeuille des clients du luxe sont encore à séduire, à conquérir.

CB News : Comment les marques trouveront-elles leurs acheteurs ? Il semble y avoir bataille entre bouche à oreille, publicité et points de vente… Toujours et encore on-line vs off-line ?

Éric Garcia : Sans surprise, les parcours d’achats pour les cadeaux de fin d’année sont multicanaux et les clients du luxe vont aller puiser leur inspiration via une combinaison de sources off et online.

Cela dit, la recherche d’idées de cadeaux de Noël traduit cette année encore une préférence pour les points de contacts traditionnels offline (81%). Les points de vente physique (51%) et le bouche à oreille (51%) devancent la publicité (19%). Cette tendance est d’autant plus vraie lorsque l’on s’adresse aux plus âgés.

Par ailleurs, les habitudes prises lors de ces presque deux ans de mesure anti-covid, se sont installées dans les usages de la clientèle de produits haut de gamme, plaçant les sources d’information digitale à un niveau élevé (55%), via la recherche de mots clés sur les moteurs de recherche (33%) ou directement via les sites de e-commerce (36%), loin devant les réseaux sociaux (11%), ou les sites digitaux des médias (6%).

CB News : Le 1er critère de choix d’un produit de luxe est sans surprise le prestige. Plus étonnant, il y a la qualité de livraison juste après… La RSE semble plus en retrait, tout comme la publicité ?

Éric Garcia : Les fêtes de Noël restent un moment à part dans l’esprit des Français et les clients du Luxe n’y échappent pas. Ils veulent faire vraiment plaisir (35% compensation) et répondre aux attentes de leurs proches (38% sur commande). La recherche de cadeaux sera avant tout guidée par le « prestige » (46%), c’est-à-dire des produits tendances et un niveau de qualité que seuls les marques et les distributeurs premium seront capables d’offrir. 

La clientèle luxe n’en reste pas moins exigeante sur des sujets très « pragmatiques ». Ils seront regardants sur le service livraison dans son ensemble (42%), la disponibilité dans les délais, la politique d’échange, le service après-vente. De plus, ils déclarent vouloir garder un œil attentif sur les étiquettes (41%, y compris lors de la recherche de la bonne affaire).

Pour finir de les convaincre, les marques qui pourront communiquer sur leurs valeurs d’engagement sociétal et environnemental devraient faire la différence pour une large proportion de la clientèle (38%, qualité du sourcing, durabilité des produits et fabrication locale).

La publicité (catalogue, presse, autres médias) est, comme toujours en déclaratif, très peu citée alors que nous savons pertinemment, à travers nos études Média Mix Modeling, que la pression médiatique a un impact certain sur de nombreux indicateurs, y compris les ventes.

CB News : Dans votre étude, quels sont les médias qui font la différence entre TV, Presse, Magazine, Radio, Affichage… Ou le mix media est-il la réponse pour les marques et leurs agences ?

Éric Garcia : Dans cette étude CSA, on n’observe pratiquement pas de différences entre les différents médias payants pris un à un. Cela dit, la presse « papier » au global bénéficie de deux fois plus de votes que la TV, l’affichage ou la radio.

En outre, nos études de mesure de l’efficacité publicitaire dans l’univers du luxe notamment, nous inciteraient effectivement à recommander de mixer les différents supports de communication pour une meilleure efficacité des campagnes à tous les niveaux (présence à l’esprit, image et call-to-action des annonceurs). 

CB News : La tendance lourde de la seconde main s’installe clairement dans cet univers du luxe… Est-ce une surprise pour vous ? Cela ne s'arrêtera pas ?

Éric Garcia : Les achats de produits d’occasion se sont globalement bien installés dans les comportements des consommateurs en général et pour la clientèle du luxe en particulier. Ce n’est pas une surprise pour nous, nous l’observons et le mesurons depuis des années. Ce mouvement devrait certainement s’amplifier jusqu’à représenter une proportion non-négligeable du marché du luxe dans les années à venir.

Nous y voyons des bénéfices croisés à la fois pour les clients, car c'est une façon peur eux d'accéder à cet univers, et pour les marques qui recrutent ainsi de nouveaux clients. Et, cette tendance interroge notamment sur la meilleure façon, pour les maisons de luxe, d’intégrer la seconde main dans leur offre. Au-delà du changement de paradigme pour certaines maisons qui décideront de prendre pleinement part à ce nouveau mode de commercialisation, de nouveaux parcours d’achat (points de contacts, lieux d’achat, authentification…) seront à inventer par les annonceurs pour les clients.

CB News : Au final, pour vous, quels sont les points saillants de cette étude ?

Éric Garcia : Un des sujets marquants de cette étude sur la clientèle luxe en cette période incertaine, c’est la confirmation de son caractère multifacette. À entendre les acheteurs de luxe sur le maintien de leur budget « achats de Noël », sur leur motivation première à faire plaisir et à se faire plaisir à tout prix, on pourrait les taxer d’une forme d’insouciance, de légèreté. Nous pensons plutôt qu’ils expriment une envie de mettre de côté, tant que faire se peut, le contexte morose dans lequel nous sommes plongés depuis déjà 2 ans (pandémies, crise économique, guerre en Ukraine…).

Pourtant, ces consommateurs premium vont garder les pieds sur terre, en gardant leur attention sur les prix, la qualité de service, … Enfin, ils nous confirment encore une fois qu’ils attendent des marques qu’elles continuent de les faire rêver, sans pour autant oublier de s’engager pour la société et dans leur mode de production (qualité, sourcing, made in France).

Le cadeau « prestige, service et engagement » devrait être le triptyque gagnant sous le sapin de Noël cette année.

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