Consommation : les tendances inéluctables et incertaines selon Bain & Company
Avec la publication de son étude « Shaping the consumer of the future », Bain & Company scrute la consommation mondiale de demain, à l’aune d’une crise sanitaire qui n’en finit plus et changera la donne. Aussi pour les marques que les consommateurs. Entre les tendances déjà là, les signaux faibles et la projection, Christine Removille, expert-partner au sein du cabinet d’études, décrypte cette étude. Interview.
CB News : Bain & Company publie une étude mondiale sur les nouvelles stratégies que devront adopter les marques vis-à-vis de leurs consommateurs, à l’aune du Covid-19, qui sévit encore. N’est-ce pas encore trop tôt ?
Christine Removille : Il n’est pas trop tôt pour tirer certaines conclusions car une partie de ces tendances va s’installer durablement alors que d’autres restent encore à préciser. Dans tous les cas, ces évolutions fondamentales et durables du comportement des consommateurs impactent déjà les stratégies Marketing. Les entreprises les plus proactives adoptent une approche « future-back », à partir des données jugées les plus importantes pour leurs consommateurs, et construisent leurs business models autour de ces attentes, en développant des solutions innovantes et pertinentes.
CB News : Au sein des 8 grandes tendances mondiales que vous avez décelées, vous scindez celles qui vont perdurer dans le temps de celles dont l’issue finale est encore incertaine… Pourriez-vous nous détailler les tendances inéluctables ?
Inéluctablement, l’étude montre que nous irons vers plus de services virtuels avec une lente reprise de la consommation hors domicile et également des valeurs redéfinies par les consommateurs, avec des questions de santé omniprésentes.
Une certitude maintenant bien affirmée. L’adoption du numérique s’est accélérée. C’est la conséquence la plus significative et irréversible de la pandémie chez les consommateurs. Par exemple, nous observons et anticipons une forte hausse des achats en ligne et des autres activités virtuelles. Ensuite, une omniprésence des questions de santé. Les individus ont été exposés de manière extrême aux informations relayées par les médias concernant la santé, ce qui les a poussés à mettre celle-ci ainsi que le bien-être au centre de leurs vies et de leur quotidien. Puis une redéfinition des valeurs. La crise du coronavirus a provoqué l’accélération d’un changement net, déjà amorcé avant la pandémie, à savoir une bifurcation rapide et simultanée vers des produits à bas coût et en même temps vers des offres de meilleure qualité pour les hauts pouvoir d’achat afin de répondre à leurs attentes de santé, confort et sécurité. Pour finir, nous anticipons également une reprise très lente des dépenses liées à la consommation hors domicile : avant la crise sanitaire, les dépenses liées à la restauration hors domicile (Etats-Unis par exemple) représentaient deux tiers de l’ensemble de la croissance des dépenses alimentaires. Cette tendance a radicalement changé avec la pandémie. La crise de la Covid-19 va repousser la croissance de la restauration hors domicile de 3 à 5 ans selon les pays, et dans le pire des cas jusqu’à 7 ans, en fonction de la durée de la pandémie et des mesures gouvernementales et sociales mises en place.
CB News : Et côté tendances incertaines ?
Christine Removille : Sur l’ensemble des tendances, 4 restent effectivement incertaines. À la suite de la pandémie, les consommateurs en Europe affirment vouloir soutenir les entreprises et les marques locales. En même temps, ils recherchent la sécurité et la confiance que leur inspirent les grandes marques. Le cursus reste donc encore incertain entre les marques petites ou locales et les grandes marques.
35 % des consommateurs en Europe sont de plus en plus à la recherche de produits dont les allégations de santé ont un fondement scientifique, y compris pour les médicaments sans ordonnance. S’agit-il d’un retour ou d’une rupture avec la science ?
Mêmes si les personnes interrogées se souciaient d’acheter davantage de nourriture et boissons durables par rapport à la période d’avant pandémie, seuls 8 % évoquent le développement durable comme un critère-clé pour leurs achats, toutes catégories confondues. Quel que soit le pays, les consommateurs placent la sécurité sanitaire avant le développement durable. S’agit-il de développement durable ou de précautions sanitaires ?
Depuis des années, la population s’est regroupée vers de plus grandes aires urbaines dans les pays développés. La pratique du télétravail rendue nécessaire pendant la pandémie pourrait inverser la tendance à l’urbanisation qui prédominait jusque-là et avoir des répercussions pour les entreprises sur la manière d’aborder les besoins des gens et leurs comportements en tant que consommateurs. Nous posons la question d’urbanisation ou de désurbanisation ?
CB News : La science y devient un enjeu majeur, entre défiance et une sorte de « sur-confiance » ?
Oui – si nous avons appris une chose avec la crise du Covid, c’est que les comportements des consommateurs peuvent varier rapidement en fonction de la science. Récemment, les progrès au niveau de la recherche d’un vaccin semblent avoir apporté un regain de confiance et l’assurance probable que l’année 2021 sera un tournant dans cette crise permettant aux activités suspendues de reprendre.
CB News : Dans ce contexte, mélange de ces tendances lourdes et d’incertitudes, comment « s’en sort » la France ?
Christine Removille : Les tendances sont globalement les mêmes en France. Notre recherche a observé que les Français étaient relativement plus confiants que d’autres nationalités pour reprendre certaines habitudes, comme par exemple, retourner dans les commerces.
CB news : Y-a-t-il tout de même une ou des exception(s) française(s) ?
Christine Removille : Il y a une petite exception Française sur le très court terme car il semblerait que les Français ont plus voyagé que les autres pays : plus de la moitié des Français ont voyagé au sein du pays depuis mars – c’est le pourcentage le plus élevé comparé aux autres pays Européens que nous avons sondés. Ils sont aussi relativement plus nombreux à avoir pris l’avion ou fait un séjour dans un hôtel. Dans l’ensemble sur ces tendances fondamentales identifiées à ce jour et qui vont rester après Covid19, il n’y a pas d’exception française fondamentale. Les marques et entreprises vont bien devoir revoir leurs stratégies pour répondre aux nouveaux comportements.
Pour en savoir plus sur l'étude, c'est ici.