Publication du Manuel de l'Influenceur
Edouard Fillias, CEO de l'agence d'influence et communication digitale Jin, et François-Charles Rohard, directeur général délégué et associé, publient un ouvrage sur l'influence marketing : "Le manuel de l'influenceur en 100 questions-réponses" (éditions Ellipses). Avec l'ambition de s'adresser au grand public, aux passionnés comme à ceux qui débutent sur ce marché. CB News les a rencontrés. Décryptages.
Quelle a été la genèse du projet ?
Edouard Fillias et François-Charles Rohard : Nous avons créé l'agence Jin il y 8 ans car nous pensions que la réputation digitale représentait un très grand enjeu pour les clients. Et petit à petit, le phénomène d'influenceur, ou "talent" créatif, ou "mini-média", s'est accéléré. Notamment avec l'apparition des blogs dans les années 2000 et de la vidéo en 2010. C'est ce phénomène qui nous fascine ; la façon dont il y a eu une démocratisation des accès aux publics dans l'esprit "radios libres "dans les années 1980-1990. Aujourd’hui, notre travail est de mettre en contact ces créateurs de contenus, qui font des prises de paroles libres, drôles, intelligentes, avec les marques. Si demain, avec ce livre, nous pouvons les aider, nous serons satisfaits ! L'objectif est de le rendre accessible et d'apporter de la valeur ajoutée dans un domaine encore flou. Le manuel a été conçu autour d'interviews de lecteurs potentiels, musiciens, designer, gemmologue afin de les écouter et de comprendre le type de connaissances que nous pouvions leur apporter. Il a été construit sur le spectre de notre exercice ainsi qu'avec divers influenceurs pour avoir des retours d'expérience (quand ils ont débuté, ndlr). C'est un travail d'enquête qui a débuté l'été dernier pour aller à la rencontre de leurs difficultés. Car on sait qu'il est très dur de devenir influenceur aujourd’hui. De savoir faire du contenu, monter une régie, maitriser les contrats, ou encore monter un partenariat. Il y a une véritable différence entre célébrité et influence. L'influence c'est délivrer un message, penser à autrui, à celles et ceux qui vous lisent.
Ce guide donne des pistes pour créer du contenu, maîtriser les plateformes d’influence et leurs outils, mais aussi apprendre à gérer sa communauté. Quels sont les éléments phares pour percer sur ce marché de plus en plus investi par les marques ?
Edouard Fillias et François-Charles Rohard : Le fait d'être polyvalent et multi-plateforme ! De se demander "Quelle est ma plus-value ?" Les influenceurs qui ont réussi, percé, on trouvé une ligne éditoriale unique. Il faut également se fixer des objectifs et avoir un retour pour se lancer. Quel est mon but ? Est-ce informer ? Divertir ? On a vu que la créativité portait ses fruits avec la revue de presse sur Twich du journaliste-présentateur Samuel Etienne, par exemple. Ce n'est pas tant le contenu qui compte, ni la plateforme, c'est la plus-value de la personne. On peut aussi être influenceurs sur LinkedIn. Tout dépend si l'on veut s'exprimer en photo, en vidéo ou en podcast. Et de sa capacité à créer un espace communautaire d’échange. À décliner l'idée sur divers supports et que les messages soient efficaces. Il y a aussi la connaissance des techniques ; les hashtags, les formats, les horaires de publication. Dernier conseil : se projeter sur l’influence et se dire que cette plus-value sur ses idées doit s’inclure dans un effet d’influence positive (besoins de société). C'est à dire faire du bien. Mais pas simplement autour d'un axe commercial ou de notoriété. On s’aperçoit que de nombreux influenceurs, comme Léna Situations, qui a fait don de flacons de gel hydroalcoolique aux soignants, sont proches des gens et créent des actions ou des contenus de "conscience".
Justement, de quelle façon les influenceurs peuvent-ils être bénéfiques aux marques, d’autant plus en cette période de crise sanitaire ou l’on est en recherche de sens, de valeurs et de RSE ? Quelles tendances avez-vous observées ?
Edouard Fillias et François-Charles Rohard : Nous avons connu trois phases dans la relations marques-influenceurs : la phase "western", dite exploratoire, où les influenceurs n'avaient pas d’agents, les régies n'étaient pas constituées et où l'on ne connaissait pas les montants des collaborations. Entre 2010 et 2015-2016, notamment. Puis, une période de "rangement" dans laquelle les influenceurs et influenceuses se sont rangés dans des grandes régies telles que Webedia. Et où l'on a assisté à une sorte de mercato. Un temps aussi où ces créateurs sont revenus avec leur propre positionnement, ont établi des partenariats avec Arte, ou le CNC, par exemple, et se sont lancés dans l’écriture d’ouvrages. Là on se rend compte que, du côté des marques, la recherche de partenariats est très qualitative et que l'achat d'audience compte pour beaucoup mais, que le talent et la capacité créative, leur importent pour beaucoup aussi. Et là, ça ne colle plus vraiment avec le fonctionnement des régies, qui sont davantage dans la stratégie de volume.
Troisième temps observé : l'autonomie de l’influenceur. Ils se perfectionnent sur le SEO et juridiquement parlant. Des contrats types sont mis en place, les prix sont plus clairs et le temps de la collaboration s'allonge. C'est d'ailleurs ce que nous avons observé au sein de l'agence, autour de contrats de deux ou trois ans avec les mêmes groupes d'influenceurs pour nos clients. C'est le temps de la co-construction avec un état d'esprit "partenaire business". Les influenceurs sont impliqués dans le brief et ne sont pas, ou plus seulement sollicités pour du placement de produit. Les annonceurs font appel à eux pour de l'A/B Testing, par exemple. Ils sont professionnalisés, intégrés aux équipes production et s'entourent d'agents. L’expertise métier est plus forte. Il y a de la recommandation, de la contribution créative. De leur côté, les régies essaient de se repositionner dans le Conseil, en réponse à ce phénomène, justement parce que les influenceurs deviennent autonomes. Mais l'influenceur ne devient, en aucun cas, une sorte de consultant au service des marques. Il a vocation a être indépendant et à valoriser son propre savoir-faire. Et à choisir, de lui-même si l'univers de la marque en question est compatible avec le sien avant de la mettre (ou pas) en avant. On observe d'ailleurs un désintérêt pour le targeting avec une forte installation d'ad-blockers pour maintenir une "privacy". Nous autres, devons faire attention à cela, en tant que communicants et influenceurs car les contenus doivent à la fois intéresser mais aussi distraire. Et ne pas créer de pression publicitaire supplémentaire. C'est la raison pour laquelle il faut trouver la justesse dans le discours et envers les audiences.
que doivent prendre en compte les marques pour mener à bien leurs campagnes d’influence et leur réputation aux côtés des influenceurs ?
Edouard Fillias et François-Charles Rohard : Les marques veulent comprendre l’écosystème dans lequel elles évoluent. Première attente : qui sont les infleuceurs/euses de l’écosystème en question, émergents. Avec une recherche d’intelligence. Puis, vient le choix. À l'agence, nous n'aimons pas les termes de "macro et micro influenceur ", qui rapportent surtout en volume, et non à la pertinence du contenu posté. Cela n'est pas représentatif de la pertinence. Il y a des talents moins installés sur les réseaux et les plateformes, qui sont tout aussi intéressants que celles et ceux qui sont plus visibles. C'est l'un de nos objectifs : avoir le côté confiance et le côté humanisation dans le partenariat et/ou la collaboration. Et puis, il peut y avoir des influenceurs au sein d’une même entreprise pour se lancer dans du personal branding, ou de l'employee advocacy (mobilisation de salariés).
On assiste à une professionnalisation du secteur avec des pratiques de plus en plus transparentes et surveillées. Quelle est la réponse des plateformes en matière de protection des utilisateurs ?
Edouard Fillias et François-Charles Rohard : Le rôle et de la marque et de l’infleuceur est de respecter certains codes et l'éthique. De faire preuve de transparence dans la façon dont on communique, en affichant notamment le partenariat de façon explicite dans un post. Ce code éthique inclut également le management culturel, le respect des cultures, l'honnêteté du discours, etc. Il faut absolument éviter les écueils de type "fyre festival", (un festival frauduleux n'ayant pas été à la hauteur des attentes des participants). Ensuite, sur un autre point, il faut bien différencier les plateformes, des réseaux sociaux. Et, en matière de protection et de régulation, bien protéger sa vie privée et ses données. Pour cela, les plateformes mettent en place des chartes ou des applis de brand safety. Yubo a ainsi des liens avec l'association e-enfance. Aujourd'hui, on dispose de modération technique, des procédures des plateformes en matière de cyber-harcèlement et d'actions du gouvernement. Donc, lorsque vous êtes influenceur, vous avez bon nombre d'outils pour vous protéger. Et c'est un progrès par rapport à la "phase western" évoquée plus haut, avant l'essor des skyblogs. Par ailleurs, lorsque vous êtes sur Instagram ou Facebook, vous subissez aussi des pressions. Comme la concurrence avec d'autres plateformes. Alors, que faites-vous ? Vous rassurez les gens à ce sujet pour ne pas les perdre, et vous évoluez.
création de contenus, stratégies digitales, vous consacrez aussi un chapitre à l’éthique et au RGPD Quelles pistes faudra t-il aborder à l'avenir pour encadrer davantage ce secteur ?
Edouard Fillias et François-Charles Rohard : Lorsque vous stockez des données sur les influenceurs, il faut qu'ils en soient informés. Ils ont un droit de refus sur l’enregistrement de ces données, selon la CNIL. Sur le marché, il y a aujourd'hui beaucoup de logiciels. Néanmoins, il y a des progrès à faire à ce sujet. La plupart du temps, ce sont des IA qui le font. Il faut automatiser. Nous pouvons aussi nous questionner sur où et comment ils ont été enregistrés par les annonceurs. Après tout, c'est une partie de sa vie que l'on dévoile sur les réseaux sociaux. Il est donc important qu’ils aient des garanties en matière de réversibilité. S'ils veulent sortir les données, ou supprimer un historique, par exemple. Concrètement, si vous n'êtes plus content d’être sur YouTube, ce sera lourd d'obtenir le retrait d’un contenu référencé. Il faut donc travailler, sur cette réversibilité avec les talents numériques. Le manuel, au départ, aura été conçu à destination du grand public et des passionnés, mais nous avons aussi à coeur de proposer, à tous, cette ouverture sur le cadre légal de l'influence. Et sur le droit à l'oubli avec Google (qui a fait des efforts). En tout cas, nous espérons qu'il sera utile à tous !