Ecce Dico : et c'est le temps du "i"

CB News invite les auteurs de  Ecce Dico - Design et communication - Abécédaire amoureux et illustré de la vie en agence, paru aux éditions Loco (359 pages) à nous livrer un mot chaque semaine. Un mot éclairé  par l'actualité. Cette semaine, un très beau mot ...Qui en agence, "peut venir de partout".

Inspiration [ɛ̃spiʀasjɔ̃] n. f.

On pourrait se méprendre ! Voilà un mot qui pourrait inviter à décoller, à monter dans les hautes sphères de la pensée, à chercher à imiter celles et ceux qui ont su, en leur temps, inspirer la société par leur pensée, leurs actes de courage, leur bravoure ou leur talent incomparable. Pourtant, à bien y regarder, il semble que dans inspiration, il y ait quelque chose d’autre à chercher. Quelque chose que le nouveau-né découvre dès la naissance. L’air que l’on inspire et qui fait vivre. Ce mouvement s’apparente au geste noble du joueur de chistera qui, s’il veut avoir une chance de relancer la pelote de ce jeu de balle le plus rapide au monde, doit d’abord apprendre à la recevoir… Oui, inspirer c’est avant tout accueillir ! C’est savoir faire le vide de façon à mieux capter les signaux du monde. Simone Weil dans “La pesanteur et la grâce” (Agora, Pocket, 1991) le dit bien : “L’attention extrême est ce qui constitue dans l’homme la faculté créatrice… Cette attention si pleine que le ‘je’ disparaît”. La philosophe termine en nous livrant le secret : “La condition est que l’attention soit un regard.”

I - L’inspiration en agence peut venir de partout. Nous avons lancé, avec notre confrère et ami Édouard Rencker, No More Blues, un appel antimorosité invitant, façon Les Enfoirés, les musiciens de la communication à se produire en public. Pour tous ces No More Blues, au regard aussi étincelant que le cuivre de leur sax, il y a bien de la com’, mais “y’a aut’chose”. De plus en plus d’entreprises encouragent les activités artistiques de leurs collaborateurs. La Société Générale est à ce titre exemplaire. Il faut avoir assisté au Playing Philharmonie de Paris pour mesurer les fruits d’une telle politique. Dynamique incroyable, écoute mutuelle, respect, musicalité, engagement et rigueur… Chaque fois le public se pose la même question : “Comment font-ils ? Où trouvent-ils le temps ? Ont-ils (vraiment) un job ?” Questions légitimes dans un environnement professionnel hypnotisé par le Let’s Focus, comme si l’heure était à l’expertise et à elle seule. L’activité extraprofessionnelle est souvent traquée. Travailler ou s’évader, il faut choisir ! Pas étonnant que l’entreprise soit en quête de sens quand les collaborateurs n’ont d’autre choix que de garder le cap au nord sec et froid de l’efficacité, sans pouvoir prendre une minute pour se tourner vers les autres points cardinaux. À un moment où le rationnel et la data rôdent autour de nos métiers, il nous faut veiller à en préserver les valeurs et la spécificité : la curiosité, l’amour des arts et des artistes, la porosité entre centres d’intérêt perso et vie pro. Ne nous est-il pas tous arrivé de rentrer d’un déjeuner avec un client en disant : “On n’a pas parlé boulot, on a parlé de tout autre chose” ? Partager avec confiance et générosité cet autre chose permet d’élargir et de développer une relation ! La valeur professionnelle ne se résumera jamais à la seule expertise. Il faudra toujours y ajouter un à part ça personnel, riche et sincère. Cela peut être l’affaire d’une vie. Mais les clients et partenaires ne sont pas pressés. Et ils seront toujours plus touchés par l’élargissement d’une sensibilité, d’un cœur ou d’une âme, que par la progression d’un compte d’exploitation ou d’un cours de bourse.

II -Inspirer c’est être agile par l’innovation et proche par l’attention. Nous entrons dans une période dans laquelle le trop gros, trop lourd, trop puissant et trop lointain sera pénalisé par des parties prenantes qui n’y verront que les scories obsolètes du monde d’avant. Les marques qui, pendant les confinements, ont fait preuve de solidarité, ont rencontré un écho exceptionnel. Une néoproximité, dépassant la notion de distance géographique, est apparue : proximité de service, d’empathie et de réactivité grâce à la technologie.

III -Inspirer, c’est dessiner un monde désirable et joyeux, généreux et vivable. Les agences de design ont de beaux jours devant elles. Le design qui, avec le Bauhaus, a ouvert la voie à la publicité au début du xxe siècle, retrouve une troublante actualité. Sa mission : abandonner l’arrogance, la débauche de moyens, l’instrumentalisation, et cultiver l’écoute, l’attention, l’inclusivité, le respect, la simplification et l’économie de moyens, le tout en explorant de nouvelles sources créatives. Beau programme !

Le regard porté sur les marques est en train de changer. Naguère étiquettes sur un produit, archétypes de la société de consommation, les marques deviennent de puissants leviers de valeur immatérielle. Sources d’inspiration positive, elles portent de nouvelles responsabilités dans un monde en quête de sens et précèdent l’engagement de l’entreprise pour une société du mieux commun. Ces nouvelles responsabilités les exposent à des parties prenantes de plus en plus attentives et exigeantes (clients, salariés, actionnaires, ONG…) à qui elles doivent donner confiance pour espérer se montrer dignes de la belle phrase d’Henri Cartier-Bresson : “Certains disent, je n’en crois pas mes yeux… Moi je les crois mes yeux !”

SYN.

              curiosité, décadrage, dopamine, ouverture, plaisir

ANT.

              ennui, frilosité, répétition, reproduction