Ecce Dico : on feuillette l'abécédaire avec un "R"
CB News invite les auteurs de Ecce Dico - Design et communication - Abécédaire amoureux et illustré de la vie en agence, paru aux éditions Loco (359 pages) à nous livrer un mot chaque semaine. Un mot éclairé par l'actualité. Cette semaine, un mot souvent horripilant...
Résilience [ʀeziljɑ̃s] n. f.
“En tout cas, merci !”
Une franche poignée de main, un sourire appuyé et ces quatre mots qui tranchent telle la guillotine. Il y a dans cette phrase anodine de quoi ruiner tous les espoirs que vous formuliez à l’issue de la présentation que vous venez d’achever. Deux mois de travail, les équipes de l’agence mobilisées comme jamais, le sentiment d’avoir donné le meilleur
de vous-mêmes et ces quelques syllabes qui vous vrillent l’estomac et vous coupent le souffle : “En-tout-cas-merci."...Tout allait bien jusque-là. La consultation était rude et les confrères de sérieux adversaires. Comme souvent, peu de questions avaient été posées à l’issue de ce numéro de claquettes, au terme d’un véritable marathon créatif. En quittant la salle un peu précipitamment pour la laisser aux confrères suivants, vous scrutiez les regards, le langage corporel de vos interlocuteurs pour saisir un sourire approbateur, un signe de connivence, un mot d’encouragement. Et puis rien… Rien, sauf cette locution si banale, que vous redoutez par-dessus tout, qui scelle à sa façon une fin de non-recevoir. “En-tout-cas-merci” est une métonymie. La partie pour le tout. Ou encore une ellipse, c’est selon. Elle signifie, avec son économie polie, son sens exercé de l’omission et un courage très relatif, bien plus qu’un aimable salut. Une fois qu’elle est décryptée, disséquée, son sous-texte vous crucifie. Entre les lignes, vous entendez : “Merci pour ce travail, nous avons apprécié l’effort et la sueur, mais de toute évidence, ce ne sera pas vous. Vous comprenez bien que je ne me sens pas de vous l’annoncer, là, tout de suite, en face-à-face. Je préfère différer. Ce sera plus simple pour moi dans quelque temps, par mail ou par téléphone.”
L’équipe et vous passez alors, de retour vers l’agence, beaucoup de temps en exégèse. Rien n’échappe au filtre méticuleux, voire obsessionnel de votre analyse. Vous jaugez vos perceptions, Vous vous perdez en conjectures. Vous supputez. Vous interprétez le rythme de la scansion, le contexte de la phrase, la qualité de sa syntaxe, vous évaluez le nombre d’occurrences de la formule maudite et par lesquels de vos auditeurs elle a été prononcée. Vous croisez vos perceptions, vos intuitions. Vous rejouez la scène finale et, au fil de votre rumination, le moral des uns et des autres oscille selon une sinusoïde où l’abattement le dispute à l’exaltation.
Invariablement, l’aventure se termine de la même façon. Le coup de fil arrive tel un coup de grâce, impitoyable : “Je voulais vous dire que nous avons particulièrement apprécié votre engagement, la grande qualité du travail que vous avez fourni. Ça s’est joué à peu de chose, mais vous êtes seconds (quand on perd, on est toujours second). En tout cas, merci !”...
Gros soupir ! Vous cachez votre blessure derrière un sourire de circonstance et une salutation polie. Vous raccrochez sans tarder. Il vous reste la rage et la décompression. C’est à ce stade que le collectif donne toute sa mesure, quand l’un, avec les mots qu’il faut, soutient, encourage
et hisse à nouveau l’autre sur son cheval. “Même pas mal, toujours debout !” Si l’on veut que la course continue, une fois pris le temps de l’analyse des manques, des erreurs et des dysfonctionnements éventuels qui ont conduit à cet échec, il faut aussi savoir reconnaître et respecter l’énergie dépensée et le talent des équipes, leur accorder la présomption d’innocence – la réponse était juste mais n’a pas été retenue – et le temps du deuil et du rebond. Ce sont les clés de la résilience, capacité sans laquelle notre quotidien serait insupportable. La roue finira par tourner, même si l’on sait qu’inévitablement, il y aura bien d’autres, “En tout cas, merci !”
Par bonheur, cette règle absolue souffre quelques exceptions. Vous revoilà à nouveau conquérant face à un client, fatigués, mais fiers de votre travail, sûr de sa pertinence. L’équipe a fourni un boulot énorme. La
recommandation était solide. La présentation s’est très bien passée. Vous quittez la salle. Tous vos sens en éveil, on ne se refait pas, vous traquez la locution qui tue, pour en saisir les nuances qui peuvent en dire long. Le ton de voix, selon qu’il est un soupçon condescendant ou sincèrement enjoué, selon qu’il est appuyé par une moue admirative ou une poker-face impassible, ouvre des lendemains sombres ou ensoleillés.
À force d’y consacrer tant d’attention, l’expérience vous a permis d’isoler une inflexion qui change tout. Elle est subtile, mais c’est certain, “Merci en tout cas” dit tout autre chose. Cette simple inversion de la proposition peut en changer l’esprit, même si, convenons-en, la lettre reste la même. “Merci” en tête dessine des perspectives. On peut entendre : “Merci en tout cas ! Nous n’avons pas encore pris notre décision, mais nous reviendrons vers vous dans quelques semaines.” Le temps devient ici votre allié. “Merci en tout cas” n’injurie pas l’avenir. Il laisse réellement ouverts tous les cas de figure. C’est fin, c’est ténu, mais on le sent, on y croit, la victoire est possible. Méthode Coué ! Exultation !
De fait, cette fois-ci, le sort est conjuré. Le téléphone a sonné et vous annonce la victoire. Pour conclure la conversation, vous dites : “En tout cas, merci !” Comme quoi, dans les métiers de la communication les mots ont un sens et le sens des mots compte.
Actualité
Septembre. Les vacances sont de l’histoire ancienne. L’activité bat son plein. C’est l’un des mois durant lequel les consultations s’enchaînent avec leur lot de joie et de déception. Une chance sur trois ou sur quatre de l’emporter. Septembre, c’est le mois de la résilience. Hauts les cœurs !
SYN.
même pas mal, rebond
ANT.
abandon, à quoi bon ? résignation
Envoyé par SMS : “Tkt, on a perdu une compèt. On n’a pas perdu un client.”