Ecce Dico : "D" comme ...
CB News invite les auteurs de Ecce Dico - Design et communication - Abécédaire amoureux et illustré de la vie en agence, paru aux éditions Loco, à nous livrer un mot chaque semaine. Un mot éclairé par l'actualité. Après le "A", le "C", et le "F", volci le "D" comme...
Doute [dut] n. m.
I - Comme la montre de Salvador Dali, le travail de création relève des sciences molles. C’est aussi vrai des arts plastiques que des arts appliqués. En la matière, impossible d’affirmer que deux et deux font quatre. C’est en cela qu’il est toujours étrange d’être confronté à des certitudes. Les jugements abrupts et radicaux, les cafés qui volent et tachent les murs alimentent le folklore des agences mais n’apportent pas grand-chose à l’évolution des idées. Si toute l’humanité était à ce point sûre d’elle-même et de ses vérités, la Terre serait plate et la conception immaculée. Alors que la science est le royaume du doute et de la remise en cause, nous sommes, nous autres saltimbanques, parfois (trop souvent) définitifs. Mais il ne faut pas désespérer de la nature humaine.
Trois patrons sur quatre, alors qu’il est convenu de les considérer comme des conquistadors sans états d’âme, estiment que le doute constitue un outil primordial de management, qu’il ouvre un questionnement permanent sur les décisions à prendre. & “Le temps”, enquête auprès de 150 dirigeants, ceo-report, 2015 //
II - Dans les phases initiales, nous savons bien qu’il n’y a pas qu’une seule et bonne réponse aux questions que l’on nous pose. Comme chez les cinéastes qui montent et remontent leur film, le processus de création est itératif, brownien, contradictoire. Il est riche des hasards qu’il provoque. C’est une quête permanente qui, si elle entre en conflit avec le modèle économique dégradé de nos métiers, n’en reste pas moins la raison d’être de ceux qui s’y impliquent corps et biens.
III - Le doute est l’un des deux moteurs de la création. L’autre, c’est l’expérience. Si l’un des deux s’éteint, l’avion continue de voler, mais… rien n’est moins sûr.
IV - “Le doute est le sel de l’esprit.” Alain. Le doute relève les plats. Il révèle les saveurs et conserve fraîches les idées inattendues.
V - Le doute est curieux (voir curiosité) et fécond. Il remet en cause les ordres établis, les sempiternels benchmarks, les images et les idées toutes faites. “Ce n’est pas le doute qui rend fou : c’est la certitude.”Friedrich Nietzsche.
VI - Le doute laisse de la place aux propositions que d’autres ont en tête. Il donne une chance à l’audace et à l’initiative. Vu sous cet angle, il donne des ailes et fait grandir.
VII - Le doute provoque la surprise et l’étonnement quand les certitudes nous font tourner en boucle. “Qui ne sait rien, de rien ne doute.” Pierre Gringore.
VIII - Le doute nous permet d’écouter nos clients. Ah tiens ! Ben oui, pas bête : ils en savent moins que nous sur nos métiers, mais bien plus sur le leur. Laissons nos ego et nos certitudes au vestiaire. Nous n’en serons que plus instruits et plus pertinents.
IX - Enfin, le doute est le meilleur rempart contre la grosse tête, le torse bombé et les chevilles qui enflent, bref, contre l’arrogance. “Le doute est le commencement de la sagesse.” Aristote.
Contr.
“Je ne cherche pas, je trouve”, aurait dit Picasso. Cette légende urbaine attribuée à l’immense artiste qui a peint à lui seul le xxe siècle tient à une approximation de ses propos : “Quand je peins, mon but est de montrer ce que j’ai trouvé et non pas ce que je suis en train de chercher.” Question de momentum et de dynamique… De fait, nos productions sont sans cesse sujettes au débat, aux points de vue et aux goûts personnels de toutes les personnes engagées dans le processus d’élaboration. Pour ne pas se perdre en conjectures, dans les méandres extrêmes des incertitudes humaines – “J’hésite, je n’en suis pas très sûr” –, les avis tranchés présentent quelques avantages. Ils font gagner du temps en resserrant le champ des possibles et rassurent, sans leur faire injure, des clients manquant souvent de recul pour se forger eux-mêmes une opinion. Les modes d’organisation des grandes entreprises conduisent nombre d’entre elles à faire tourner les équipes à échéances régulières. Tous les trois quatre ans, celle dédiée à la marque sera répartie dans d’autres services au nom de la mobilité et d’une dynamique de changements vertueux. Telle autre, jusqu’alors spécialisée, mettons, dans les achats, viendra prendre sa place. Il lui faudra alors du temps pour s’acclimater à des disciplines et des interlocuteurs nouveaux, et comprendre que l’on n’achète pas un produit créatif et de la matière grise comme on négocie des agrafeuses. Du temps pour accepter l’idée que les métiers de la communication ne sont ni des commodités, ni des fantaisies sans enjeux, encore moins des dépenses à contenir, mais bien des investissements qui produisent du sens dans l’intérêt de l’entreprise et de la marque. Du temps pour trouver leur place dans l’organigramme et décoder ce que leur chef attend réellement et non pas ce que l’équipe fraîchement émoulue suppose qu’il attend. Tout cela mis bout à bout génère du stress et beaucoup de mal à évaluer ce que nous soumettons. L’équipe attend alors, à bon escient, un conseil solide et argumenté, une pédagogie approfondie qui lui permettront d’être plus détendue face à sa hiérarchie, mieux armée pour défendre ses choix et éviter le discrédit. Une fois acquises ces conditions d’écoute et de confiance, le doute devient alors un caillou dans la chaussure qui ralentit la marche. Il n’a plus sa place, sans l’ombre d’un doute.
SYN.
Capacité d’émerveillement, dialogue, écoute, foi, ouverture
ANT.
Aplomb, certitude, fermeture, ubris
Entendu à l’agence :
“Je doute, donc j’existe.”