Romain Grandjean et Philippe Perdrix (35°Nord) "en Afrique, plus qu’ailleurs, la victoire sur le virus passera par l’information et la communication"
Voilà nous y sommes...Dans la quatrième semaine de confinement. C'est difficile. CB News a une chance. Celle de continuer d'informer. Nous poursuivons notre série d'interviews, débutée le 17 mars, avec aujourd'hui le témoignage rare de Romain Grandjean et Philippe Perdrix, fondateurs-associés de l’agence de conseil et de communication stratégique spécialisée sur l’Afrique, 35°Nord.
1) Comment allez-vous à l’agence ?
Romain Grandjean et Philippe Perdrix : l’atmosphère à l’agence résonne au même rythme celle que nos clients. Ils ont d’abord connu une phase de sidération, avec énormément de questions, et finalement peu de réponses. Durant les premiers jours, chacun a dû s’organiser et parer au plus urgent : mettre en place les mesures de prévention et de maintien de l’activité...Peu à peu, chacun a repris pied, ce qui a aussitôt impliqué une communication externe, mais aussi interne, pour nos clients souvent dépourvus devant une telle situation. Dispositifs de prévention, plans de continuité de l’activité, outils collaboratifs, travail à distance...Nous sommes entrés rapidement en action pour notamment produire l’ensemble de ces messages, avec une forte dimension de mobilisation et de benchmark pour être performant dans les messages et rassurer l’ensemble des parties prenantes. En Afrique, plus qu’ailleurs, la victoire sur le virus passera par la bataille de l’information et de la communication. En ce moment s’ouvre progressivement une nouvelle phase, celle de l’organisation de « l’après ». Nos clients savent qu’ils sont entrés dans un temps long et incertain. Il nous faut inventer et innover pour garder le contact et être utile. On construit avec nos clients. Jusqu’à présent, nous avons assez bien réussi, mais c’est une vigilance de tous les instants.
2) Votre périmètre c’est l’Afrique. Pouvez-vous nous raconter ce que vous savez de la situation sur ce continent ?
Romain Grandjean et Philippe Perdrix : en partenariat avec la plateforme de veille, Covid 19 Africa, nous avons mis en place un dispositif d’information sur l’évolution de la pandémie avec un site web dédié et deux chaînes Telegram et WhatsApp sur lesquels nous publions un bulletin quotidien et une note économique hebdomadaire avec des chiffres, de l’analyse, de l’expertise, des témoignages... C’est notre engagement et notre contribution, car la pandémie peut avoir en Afrique des conséquences dévastatrices. A ce jour, le continent ne compte qu’une dizaine de milliers de malades, pour un peu moins de 500 décès selon plusieurs sources recoupées, sur une population de 1 ,2 milliard d’habitants. C’est encore assez peu, mais nous ne sommes qu’au début de la propagation et les insuffisances structurelles des équipements médicaux peuvent conduire au pire. A cela s’ajoute le choc de la pauvreté dans un contexte d’affaissement inévitable de l’activité économique. 80 % des Africains travaillent dans le secteur informel, sans salaire fixe, ni filets de protection sociale. Ce que l’on gagne le jour J permet de manger le lendemain pour une bonne partie de la population.
3) Avez-vous noté des initiatives, côté communication institutionnelle et marques, pertinentes en Afrique ?
Romain Grandjean et Philippe Perdrix : nos clients africains et internationaux opérant sur le continent africain sont finalement soumis aux mêmes contraintes et aux mêmes défis qu’ici en France : protéger leurs collaborateurs et leurs clients, lutter contre la propagation du virus, assurer un minimum de continuité de service et maintenir l’activité économique sous peine de voire plonger le continent dans une récession longue et profonde, alors que nous sommes sur un rythme de croissance supérieur à 5% depuis le début des années 2000 et une baisse continue de la pauvreté. Cette pandémie peut être un coup d’arrêt à cette trajectoire. Ce serait dramatique. Les entreprises et les puissances publiques sont en fait sur une ligne de crête, sauf qu’en Afrique la pauvreté fait des morts. Concernant les initiatives, la plupart de nos clients privés africains (Orange Cote d’Ivoire, NSIA, Oragroup, Rawbank, Cofina...) communiquent sur les mesures de prévention, les gestes barrières... Nous les conseillons et les accompagnons dans ces plans d’action combinant notamment de la production de contenus, des relations presse et du digital. Nous les aidons également à mettre en place leur plan de continuité d’activité. Parmi, nos clients internationaux (Huaweï, Heineken, Danone, CFAO...), beaucoup font de même, avec pour certains une dimension RSE, à travers la mise à disposition d’outils de formation par exemple, et de dons en matériels. C’est essentiel, le secteur privé est nécessairement en première ligne car les puissances publiques seules n’ont pas les moyens suffisants pour répondre aux urgences de la crise qui se profile. Au-delà de nos clients, nous constatons malgré tout une prise en main de cette crise par les organisations régionales africaines, les États et les banques centrales avec des mesures de soutien et des plans de relance, qui vont nécessairement devoir être appuyés par la communauté internationale. Ce leadership à l’échelle du continent est rassurant.
4) Comment le secteur de la communication peut-il être « utile » en ce moment ?
Romain Grandjean et Philippe Perdrix : il est non seulement utile, il est essentiel. Dans un continent de plus en plus connecté, avec un taux de pénétration mobile supérieur à 80 %, et près de 700 millions de smartphones en circulation selon les prévisions pour 2020, les réseaux sociaux sont des « accélérateurs de particules », pour le meilleur mais aussi pour le pire avec une prolifération de fausses informations et de fake news. « Chaque épidémie s’accompagne d’une épidémie de rumeurs, mais s’il y a une masse critique de journalistes qui donnent la bonne information, on peut détruire toute fausse information qui arrive », décrypte le professeur et virologue congolais Jean-Jacques Muyembe, chargé de mener la riposte face au coronavirus en République Démocratique du Congo. Encore faut-il que les gouvernants acceptent également de communiquer pour prévenir, sensibiliser et mobiliser ; que les leaders d’opinions soient des relais et des amplificateurs d’informations utiles ; que le secteur privé soit aux avants postes... Notre métier de communicant consiste actuellement à dresser des passerelles entre ces mondes. En Afrique, plus qu’ailleurs, c’est vital.