Estelle Cognacq (franceinfo) : « avec ce virus, un terrain très favorable pour la désinformation »
CB News poursuit ses interviews des responsables du monde de la communication et des médias pour savoir comment ils vivent cette crise et comment ils anticipent sa sortie. Les réponses en exclusivité d’Estelle Cognacq, directrice adjointe de la rédaction de franceinfo, chargée de l'Agence franceinfo et de la certification de l’information.
Comment s'organise la rédaction de FranceInfo pendant ce confinement ?
Nous continuons à faire notre travail d’information, crucial dans cette période, mais dans des conditions différentes. Nous avons passé un maximum de personnel, notamment les journalistes, en télétravail quand c’était possible. Ce sont les cas de tous les journalistes de nos services, de notre édition numérique et de la cellule Vrai du faux, des attachés de production, d’une partie de l’agence de vérification. Nos reporters ne repassent plus à la rédaction et sont équipés de kit de sécurité avant d'aller sur le terrain… Cette réorganisation des équipes a été possible grâce à un aménagement de notre antenne. Nous avons étendu les tranches d’information. Nous avons par exemple cinq fils rouges par semaine au lieu de huit. Une partie des présentateurs et des fils rouges alternent une semaine sur deux.
Beaucoup d'infox circulent : pourquoi la désinformation pullule autant ?
Je ne pense pas qu’il y ait plus de désinformation ou de fake news que ces dernières années. Mais là, nous sommes dans une actualité quasi unique avec un phénomène inconnu, une épidémie qui se répand sur la planète avec un virus dont nous ne connaissons pas grand-chose. C’est donc propice à toutes les fausses informations et au conspirationnisme. On trouve les ressorts classiques autour du « On nous cache des choses » comme par exemple cette fausse information sur la création du Covid-19 par l’Institut Pasteur. D’ailleurs, selon une étude Ifop pour la fondation Jean-Jaurès et l’Observatoire du conspirationnisme, 26% des Français pensent que le Covid-19 a été créé en laboratoire.
Tout ce qui touche à la santé est un des foyers les plus importants de fausses informations, de rumeurs, en temps normal. D’où, avec ce virus, un terrain très favorable pour la désinformation, le complotisme et les rumeurs. Il y a aussi énormément de faux conseils pour éviter ou guérir du coronavirus (boire chaud, etc) massivement partagés non pas pour désinformer volontairement mais en pensant bien faire. Enfin, avec le confinement, nous sommes tous ultra connectés sur les messageries type Whatsapp ou les réseaux sociaux. Donc encore plus exposés à tout ce qui circule, le bon et le moins bon.
Comment combattre ces fake news ?
En continuant et renforçant le travail engagé à FranceInfo depuis de nombreuses années autour de la lutte contre les fausses informations mais aussi autour de l’explication. Notamment grâce au travail de l'Agence FranceInfo et de la Cellule Vrai du Faux, nous multiplions les formats explicatifs sur la maladie, le confinement, la situation des autres pays… Notre travail n’est pas toujours simple car les connaissances scientifiques sur cette maladie évoluent. Nous avons par exemple mis en ligne un article décliné sur la radio pour expliquer comment repérer les faux messages d’information que nos proches nous envoient ou encore sept conseils pour se protéger des fake news. Nous repérons les sujets qui font beaucoup réagir comme par exemple autour de la chloroquine. Nous avons fait beaucoup de « vrai du faux » autour de cette molécule.
Quel dispositif FranceInfo met-il en place pour davantage lutter contre les infox ?
Nous avons renforcé encore plus notre Cellule Vrai ou Faux, créée en août 2019 et pilotée par Antoine Krempf qui assure le rendez-vous de fact-checking « Le vrai du faux » dans la matinale depuis 2014. En lien étroit avec l'Agence qui est en charge de la vérification et la certification de l'info, nous avons attribué à la Cellule des journalistes supplémentaires pour produire plus de contenus et essayer de détecter les nombreuses fausses informations. Nous avons un hashtag sur les réseaux sociaux #vraioufake que les gens peuvent utiliser quand ils veulent que nos journalistes vérifient quelque chose et une rubrique baptisée comme cela sur le site.
Dans cette période d'incertitudes, il est important pour FranceInfo d'accompagner les Français dans leur quotidien, leur appréhension de cette crise, leurs interrogations... Nous avons donc également mis en place une opération commune aux trois entités de FranceInfo (radio, TV et numérique) baptisée « On vous répond ». Les auditeurs, téléspectateurs, internautes, peuvent nous poser toutes les questions autour de la crise du coronavirus et des journalistes et spécialistes (médecins, avocats…) y répondent sur nos antennes. Souvent les mêmes questions reviennent mais l’épidémie et ses conséquences évoluent.
Comment diffuser au plus grand nombre vos contenus, notamment ceux de la Cellule Vrai du Faux ?
Nos contenus sont déclinés sur toutes nos antennes, radio, TV et numérique, ce qui permet de toucher un très grand nombre de personnes. Nous adaptons nos formats de vérification et d’explication pour les diffuser sur les réseaux sociaux, Twitter, Facebook, YouTube et Instagram là où se trouve la désinformation. Mais bien sûr il n’est pas facile de toucher toutes les cibles de ces fausses informations qui se trouvent souvent dans des groupes privés. C’est l’écueil de la lutte contre les fake news en général. Nous misons sur le fait que notre public va s’emparer de nos contenus comme des outils qu’on leur donne pour leur permettre de répondre eux-mêmes aux fausses informations.