Anne-lise Langlais (AuRevoirCharlie) « Action et bim réaction »

Anne-lise Langlais

Deuxième semaine de confinement...CB News poursuit sa série d'interviews de professionnels de la filière communication, initiée mardi 17 mars. Anne-Lise Langlais, CEO - productrice - réalisatrice de l'agence de production sonore AuRevoirCharlie, s'est prêtée à l'exercice. Le son, remède miracle ? Voici ses réponses.

1) Comment votre agence fait face à cette crise sanitaire ?

Elle s’adapte. Comme vous, comme tout le monde. La langue est bien faite : Une société c'est La société. En version micro (vanne de producteur son, ce ne sont pas les meilleures je vous préviens). Cela veut dire que chaque collaborateur à une réaction différente, chaque réaction est légitime et il faut orchestrer et accompagner ces mouvements parfois contraires pour tous avancer.Notre première ressource c’est la souplesse.

Nous étions production pilote pendant le SRAS. On le remercierait presque de nous avoir formé. Aurevoircharlie a du répondre à plusieurs fausses situations de crise épidémique avec mise en quarantaine brutale. Ecrire, enregistrer, produire et diffuser des messages de communications radios informatives et sanitaires, sans aucun contact extérieur en moins de 3 heures. On était en 2006. Ca nous a entrainé.

Aujourd’hui, tous nos équipements et nos données ont intégré de pouvoir être utilisés par tous nos collaborateurs à distance. 4 sites de home studio différents y ont accès. Avec possibilité de délocaliser en quelques minutes sur n’importe quel autre nouveau site de studio son si besoin. L’autre truc qu’on vient de sur-développer c’est l’écoute (la vanne de producteur son est un fléau : j’ai foi en cette crise mondiale pour changer ça. Il le faut).

Ecoute extradiégétique , du monde qui change heure après heure !  Et écoute interne : comment nos collaborateurs peuvent se protéger, répondre à ces changements et travailler en continuant à rester ENSEMBLE ? On est une petite structure , on a su bouger vite. On a du s'adapter tous en même temps. On a démarré par le « plus de bises » ni serrage de mains, entre nous, avec nos clients et nos comédiens il y a 3 semaines et maintenant nous sommes 8 heures par jour ensemble mais sans se voir à part nos vidéo-conf-café du matin, nécessaires et vitales. Que nous attend-il demain ? On reste a l’affût… 

2) Comment réagissent vos clients ? Sentez-vous naître une solidarité entre acteurs dans le secteur ?

Comme vous. Comme nous ! Ils passent, on passe par des phases. Stupeur, réactivité quasi automatique et animale, intégration de la nouvelle donne, puis adaptation… avec étude des options. On dénigre souvent la corporation publicitaire et à juste titre, celle-ci à nombre de tares encore à travailler, mais toutes les agences avec qui nous travaillons étaient impressionnantes de réactivité concernant la protection de leur collaborateurs. Certains diront que le publicitaire est tellement autocentré qu’il ne le fait que dans son propre intérêt, mais je laisse cet état d’esprit aux aigris. Coté annonceur, idem : il y a eu une prise de conscience ultra rapide. 

Nos clients sont des communicants, connectés et éduqués à s’adapter : ils viennent tous de le prouver. Action et bim réaction. Là on est dans une période de réveil. Depuis 72 heures on travaille non stop. On nous active de toutes parts. Ça a commencé mardi 17. Comme après un bombardement : « Ça va vous ? Vous êtes vivant ? (vous êtes ouvert ?) Vous avez des réserves ? (vous avez des solutions pour produire des messages radios ou du podcast ?) ». Oui on les a, même si ça prend plus de temps. Ça tombe bien, il parait qu’on va en avoir.

3) Craignez-vous une forte baisse de chiffre d’affaires à l'issue de la crise ?

Evidemment. On vient d’apprendre il y a quelques jours qu’il faut se préparer à tout. Et que tout est possible. Pour Aurevoircharlie s’y préparer c’est aussi ce qui prend du temps donc là on travaille beaucoup. Etre totalement dans le présent, rester bien focus sur celui ci mais commencer à jeter un oeil sur l’avenir.  Nous sommes une petite structure mais avec beaucoup de salaires. En plus de nos collaborateurs fixes, Aurevoircharlie doit assurer le présent et l’avenir que tous les intermittents qui collaborent avec elle. Que nos fournisseurs nous payent ou pas, ou qu’ils tardent à le faire, nous devrons assurer leurs salaires.

Le monde du spectacle à Paris vient de se prendre une mandale magistrale. Plus de spectacle, plus de théâtre, plus de films, plus de production ciné…  Professionnalisme, solidarité, humanité , appelez ça comme vous voulez. Un producteur indépendant comme Aurevoircharlie est sur l’innovation artistique et sur l’agrégations de talents. Ça fait partie de notre spécificité professionnelle : une conception culturelle et artistique versus une conception technologique et économique d’une production intégrée.

Pour Aurevoircharlie comme pour nos confrères indépendants, on se doit de continuer à porter ce monde « artistique » .  Crise mondiale hors norme ou pas crise. Et parce qu’il y aura un après. 

4) Selon vous, comment AuRevoirCharlie et le secteur de la communication peuvent être utile à la société dans cette épreuve ?

Avant cette crise terrible, on cherchait la voie (et bien non ici, pas de jeu de mot de producteur son : excellente nouvelle, le fléau vient de reculer !) pour plus d’humanité au sein des entreprises en cherchant des astuces pour donner plus de temps , travailler les méthodes de pleine conscience, de sport, de bien être etc… je pense que là : on va trouver.  Par la méthode forte malheureusement mais le secteur de la communication, notre entreprise, le monde : on est en train d’ inventer ! 

Inventer une autre manière de se regarder, de travailler, de vivre. Evidement qu’après , le monde redeviendra ce qu’il est  : on ne change pas l’animal pensant qu’est l’humain même avec une guerre. Mais une conscience de vivre autrement et des habitudes vont perdurer. C’est ce germe qu’il va falloir faire pousser. C’est ça que les communications devront accompagner. 

5) Le monde de l'audio peut-il émerger davantage dans cette période de confinement ?

Il émergeait déjà. Avec l’explosion du son digital. Le son est redevenu « tendance ». Pour s’affranchir du tout visuel , pour se donner du temps, pour explorer l’intime …  avec les podcasts en première ligne. Mais ça c’était avant ! On avait moins de temps, on cherchait à se recentrer, à toucher à l’intimité…  et ce qui est fou c’est que c’était il y a seulement 1 semaine ! Maintenant avec le « confinement »  tout cela est possible. Ça veut dire quoi ?

Que ces besoins restent mais qu’il y a une nouvelle donne à intégrer : le « tout écran»  qui nous fatigue tant vient d’être rejoint paradoxalement par le besoin « de se voir » et de « rester ensemble ». On peut le faire en son et chez Aurevoircharlie on nous active intensément dans ce sens depuis 2 jours ! En tant que producteur son pour la publicité ou créateur de contenus sonores et de podcasts : rendre le son « visuel » pour toucher les gens , on sait faire. C’est comme ça qu’on a « déringardiser » la radio bien avant les podcasts. Etre réactif, c’est l’avantage des productions sonore et produire malgré le blocus, on sait faire aussi. Mais ce qu’on explique ce que les contenus audio n’émergeront qu’en n’étant tourné vers les gens.

Et sincèrement. Sinon ça ne passera pas. Comme l’a dit Sandrine Plasseraud dans vos colonnes : pas d’opportunisme, ce n’est ni lieu, ni le moment et dans aucun type de communication. Allez, je cite encore les autres c’est plus facile, ils ont tellement de talent : David Beebe (vice président du Marriott Content Studio) a dit un truc du genre :  la clef d’entrée est d’être généreux . A l’heure où on est chacun chez soi, la clef dans la porte, un virus sur le paillasson, je dis juste qu’il va en falloir de la générosité pour accepter d’ouvrir . Un paquet.

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