Et si la communication servait à autre chose qu’à enfoncer des portes ouvertes ?
Puisque l’heure est aux introspections sectorielles, aux grandes lessives du monde d’après, osons pratiquer l’exercice au cœur même de cette industrie dont nous sommes quelques-uns à faire profession : la communication.
Que le mot ne soit pas très « glorieux », qu’il n’ait pas bonne presse, qu’il soit si souvent synonyme de baratin fallacieux devrait nous interroger sur notre propre image (avant de le faire si volontiers pour celle des autres).
Au lieu de ça, certains se plaisent à enfoncer le clou : il faut dire que souvent ça marche… Alors pourquoi s’en priver. Pourtant, s’il y a une chose dans notre métier que nous ne devrions pas délocaliser dans des régions douteuses de notre esprit, comme d’autres délocalisent des usines, c’est l’intégrité intellectuelle.
L’art pontifiant de la récup
Dernière perle en date qui m’a fait rire et pleurer : le concept de « marque soignante » (« révélée » par le Trust Barometer Edelman – baromètre de confiance si vous préférez…). L’art de la récup à son apogée : les soignants ont la cote, c’est un mot « tendance », accolons-le à « marque », et hop ! Nouveau sésame : dites-vous marque soignante et le tour est joué ! A ce compte-là, tous les mots se valent, mais que vaut alors le langage, la parole donnée ?
Quand bien même une marque représente une entreprise dont les activités sont, de près ou de loin, sur le soin, rien ne permet un tel abus de langage (ou alors, à ce compte-là, un fournisseur d’énergie est représenté par une « marque énergisante »). Et si ce « concept » vaut possiblement pour toutes les entreprises, parce qu’il signifie une exigence éthique vis-à-vis du client/consommateur, et le souci de son bien-être, de sa santé… Ce n’est pas la marque qui est soignante mais ce sont, là aussi, in fine ses produits. Tout cela est-il bien sérieux ?
À la lecture de tels bla-bla pontifiants, je songe à Bourvil dans La traversée de Paris contemplant Gabin à l’œuvre : « mais où est-ce qu’il va chercher tout ça ! ». Ces concepts n’ont pas vocation à agir de façon heuristique : ce sont des attrape-mouches, de gros sabots sous le sapin… qui desservent la crédibilité des entreprises. J’aime à rappeler ce sondage Ipsos de mars 2018 où il ressortait que les Français jugent globalement les entreprises moins honnêtes et transparentes qu’il y a 10 ans. Quant au dernier baromètre du Cevipof, il est sans appel sur la défiance de l’opinion publique française envers les élites. Il faut assumer de porter un regard lucide sur la part de responsabilité que la communication se doit de prendre là à sa charge.
Assumer le réel, pour mieux le servir
Dans le meilleur des cas, de tels arguties verbeuses ne servent qu’à enfoncer des portes-ouvertes, et à infantiliser ceux qu’on prétend servir : les clients, les consommateurs, les citoyens, les usagers… Mais la démagogie ne paie pas ! On peut se rouler en paroles dans la bienveillance, l’éthique de la transparence, le plus rien ne sera comme avant, l’empathie, les impératifs écologiques, le care… La communication (responsable bien sûr) adore mettre ces habits-là. Ils nous vont bien à tous. Ils font joli dans le miroir. La communication est toujours prête à se mettre au service de toutes ces causes évidentes et à aimanter les bons sentiments, comme si le monde était devenu un gigantesque et merveilleux « bisounours-land ». Ces propos lénifiants finissent cependant par agir comme les rhétoriques humanistes… des régimes totalitaires : parce qu’ils exploitent le réel au lieu de le servir.
Et si la communication servait à autre chose qu’à se dorer la pilule. Ce ne sont pas les questions qui fâchent qui manquent, ni les combats à mener : qu’ils soient agricoles, industriels, scientifiques, éthiques, écologiques, énergétiques, sanitaires, culturels, économiques… Ils n’attendent que nous, ces combats, pour faire vraiment débat. Servir les acteurs qui s’engagent sur tous ces terrains avec conviction, aider au dialogue et à la décision, les irriguer dans la société avec intégrité et exigence intellectuelle afin d’arbitrer plus sereinement et plus sérieusement nos différents et nos choix. Car la complexité du monde est réelle… La communication peut aussi servir à éduquer, à questionner, à affronter et à dépasser nos contradictions collectives face aux questions de société qui fracturent nos cohésions… Mais pour cela, délaissons un peu les chemins balisés par la langue de bois.
Ceci est d’autant plus crucial que l’époque y invite et que les entreprises sont réellement innovantes et résilientes pour jouer un rôle clé et salvateur, à divers titres, dans le monde qui vient. Communiquer est un exercice de séduction. Il importe que ce soit aussi un exercice de vérité. C’est le plus important dans le monde qui vient, et c’est le plus difficile.
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