Innovation for Good - les noces heureuses de la raison d’être et de l’innovation
La période que nous traversons est inédite. Si ces temps sombres de repli nécessaire sont d’abord gouvernés par le court terme et l’obligation de palier l’imprévu et « faire nation », ce sont aussi des leçons difficiles que nous pouvons mobiliser pour un rebond différent des schémas habituels. Et pour créer les conditions afin que vos équipes et clients retrouvent une entreprise, marque, enseigne qui n’est plus tout à fait la même ni tout à fait une autre. Un collectif qui est sorti grandi de l’épreuve par sa capacité à travailler différemment, à réfléchir à des propositions différentes autour d’une raison d’être musclée (ie. le temps long avec sa ligne d’horizon qui fixe le cadre des actions) et ses incarnations stratégiques pour des relais de croissance et les nouveaux modèles collaboratifs équipes/clients/écosystèmes. D’autre part le temps court avec l’accélération des cycles agiles d’innovation pour un temps réduit de Time to market auprès de clients ciblés.
Après les rêves d’une entreprise paternaliste et solitaire au mitan du XIXème siècle, le profit a fini de l’emporter comme boussole dominante.
La financiarisation de l’économie, l’augmentation du rythme des raids financiers et fusions/acquisitions, ou encore la thématique de la responsabilité des dirigeants vis-à-vis des fiduciary duties - c’est-à-dire des devoirs qu’ils portent envers les intérêts des actionnaires– ont transformé le contrat de société en un véhicule pour les intérêts des actionnaires au détriment de l’ouverture des projets collectifs.
Chaque tendance engendrant sa contre-tendance, des voies sont apparues pour y répondre :
• Extra-juridique avec la RSE : elle insiste sur l’insuffisance du droit pour réguler les impacts des activités de l’entreprise et prône des comportements bénéfiques pour la société et l’environnement. Cette approche mondiale porte des risques en germe : en cas de conflit lourd entre RSE et profitabilité ou en cas d’acquisition hostile
• Constituency statute avec les FPC (flexible purpose corporation) depuis 2012 en Californie : elle introduit la finalité du projet collectif (‘’purpose’’) au sein du contrat de société lui-même. Plutôt que d’engager le dirigeant, ce sont les actionnaires qu’il s’agit d’engager en premier lieu afin de créer un espace d’action pour que le dirigeant réalise la mission
Cette dernière logique d’entreprise à mission a été récemment introduite dans le droit français au travers de la loi PACT. Comme l’a montré Kevin Levillain, cette forme d’entreprise constitue « un modèle de gouvernance pour l’innovation » car elle présente 3 atouts majeurs :
1. Elle rend systématique une symétrie, au sein des mécanismes de gouvernance, entre les intérêts propres aux actionnaires et le projet collectif, en incluant explicitement les finalités collectives au cœur de l’intérêt social
2. Elle permet une capacité de contrôle par les actionnaires mais élargit de façon maîtrisée la latitude des dirigeants
3. Elle ouvre un engagement « émancipateur », en ce qu’elle ne limite pas la formulation de la mission aux intérêts privés des parties prenantes (en particulier des actionnaires) mais peut inclure des éléments d’intérêt collectif ou générale
Par une ruse de la raison, ce nouveau cadre juridique reboucle alors avec les origines historiques du contrat de « corporation » mêlant par une charte octroyée une finalité d’intérêt privé et public (cf. l’East India Company, autorisée par charte d’Elisabeth d’Angleterre en 1600, stipulant que le commerce n’existe que comme moyen (« by way ») au service de l’intérêt public (« for the honour of our realm »).
En ce sens, la logique de purpose (raison d’être) nous intéresse tout particulièrement pour sa capacité à créer un cadre propice à l’innovation. Soit parce qu’elle vise à développer des produits, connaissances, ou compétences encore inconnus (exemple : Zeiss, leader dans l’optique qui pose comme mission le développement scientifique de pointe). Soit parce qu’elle contient des engagements envers un collectif étendu, dont les contours sont encore largement à tracer (exemple : John Lewis, leader dans la distribution UK qui pose comme mission :« happiness of all its members »).
La mission s’exprime alors comme les propriétés désirables des stratégies encore à concevoir, guidant ainsi le management et offrant des paramètres de contrôle et d’évaluation inédits. Ainsi aux Etats-Unis, 1/3 des FCP créées ont pour « purpose » direct l’innovation de rupture.
Pour les entreprises, quelle que soit leur forme juridique, qui font projet de contribuer à un monde meilleur, alors il est grand temps de donner corps au mot de Malraux :
« Nous sommes chargés de l’héritage du monde mais il prendra la forme que nous lui donnerons »
Et vous, en ces temps d’anticipation de l’après confinement, comment faites-vous mission d’exercer une activité aux externalités toujours plus positives ? Comment vous préparez-vous à catalyser ce nouveau printemps ?
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