Paris Luxury Summit#7 : "la consommation est devenue plus politique" - Erin Doherty (Elle)
Erin Doherty, directrice de la rédaction de Elle, livre sa vision de "2020 : l'année folle", le thème de la septième édition du Paris Luxury Summit, organisée par CB News et Publicis Media. Trois questions et trois réponses. Rendez-vous jeudi 10 décembre sur nos médias en direct et en matinée.
Quelle année folle que la nôtre ...comment arrivez-vous à vous adapter ?
Erin Doherty : les outils dont nous disposons aujourd’hui nous ont permis sans difficultés « techniques » de réaliser le journal dans les conditions inédites que nous a imposé cette année hors norme. Lors du premier confinement, la rédaction entière est partie avec son ordinateur sous le bras et dès le lendemain, tout le monde était connecté et en ordre de marche. Le journal est sorti sans retard et sans problèmes tous les vendredis. Nous avons également édité trois hors-séries… Pour les productions visuelles, notamment les séries de mode nous avions, heureusement pris beaucoup d’avance et la collaboration avec les rédactions des ‘’ELLE internationaux’’ nous a permis d’échanger des portfolios et des couvertures entre nous. Le network ELLE et ses 52 éditions est une puissance inestimable à ce titre. S’acclimater aux conférences de rédaction par Zoom a été plus difficile pour les rédacteurs chefs et les journalistes. Certes, il y avait le plaisir de se voir, mais l’écosystème d’une réunion Zoom, même si elle permet de partager des infos, ne permet pas de « débattre », ce qui est le propre d’une conférence de rédaction… Nous avons, bien sûr, maintenu tous nos rendez-vous hebdomadaires, les « grandes messes » pour remplir les sommaires et discuter des couvertures mais lorsque tout le monde est à distance, il faut s’interroger sur les process. Faire plus de micro-réunions par WhatsApp. Les idées doivent emprunter une route aussi directe que possible pour atteindre la personne décisionnaire. Et les chefs dans ce scenario, doivent se focaliser sur leur instinct et leur vision. Dans ce contexte très perturbé, nous avons eu à cœur d’être au plus près de l’actualité en multipliant enquêtes, interviews et reportages. Le management à distance a également été un facteur nouveau pour moi-même et mes rédacteurs en chef. Le télétravail est naturel pour les journalistes, mais beaucoup moins pour le reste de la rédaction comme les secrétaires de rédaction et les maquettistes, le service production… Il a fallu maintenir un lien social et un esprit collectif par mail et bien sur des appels réguliers aux équipes.
Comment s’exprime votre créativité
Erin Doherty : en temps de crise, la créativité et l’innovation ont curieusement tendance à augmenter. Les conditions inédites poussent à réfléchir en dehors de la norme. Lorsqu’on subit des changements drastiques dans notre quotidien, notre façon de penser change aussi. Les maisons de luxe ont d’ailleurs rivalisé d’idées pour communiquer. Leur narration a changé. Je pense au film inspiré des métamorphoses d’Ovide pour la Haute Couture de Dior, le défilé homme Hermès où l’on voyait coulisse et défilé en temps réel, la campagne Jacquemus at Home entièrement shootée via face time par Pierre-Ange Carlotti avec Bella Hadid comme muse. Ou encore le Gucci Fest, imaginé par Alessandro Michele, filmé par Gus Van Sant et visible sur YouTube. Tout cela était très inspirant, sortait de l’ordinaire. Nous a permis de vivre une nouvelle expérience. Pour notre numéro hommage au personnel hospitalier, nous ne pouvions organiser de séance photos puisqu’il était au front. Nous avons donc fait appel à notre illustratrice Soledad qui a imaginé cette couverture représentant infirmières, docteurs, aides-soignants, qui est à 80 % féminin. Nous avons également complètement repensé notre évènement ELLE Active qui se tient traditionnellement chaque année en présentiel au CESE et durant lequel nous recevons près de 3 000 femmes pour des conférences, coaching, relooking. Cette année, il n’a pas pu se tenir sous sa forme originelle. Nous avons donc imaginé avec notre partenaire L’Oréal Paris une plateforme 100% digitale. Cela nous a permis de toucher près de 50 000 femmes en une seule journée et dans la France entière. L’évènement plutôt parisien est devenu national et donc beaucoup plus impactant. Même chose pour notre journée green à la fondation Good Planet en partenariat avec Kering. Cette digitalisation de nos évènements, que la situation sanitaire nous a poussé à accélérer, servira de modèle à tous nos prochains événements. Nous espérons qu’ils pourront retrouver une forme physique également, car nous avons besoin de ce lien social du présentiel. Mais la forme digitalisée est désormais une priorité pour tous nos évents.
Pour le luxe, selon vous quels sont les secrets pour résister ?
Erin Doherty : comme nos lectrices, les consommateurs ont adopté de nouveaux comportements et développé de nouvelles exigences qui lui ont été inspirés par la crise sanitaire et économique. Leur consommation est raisonnée et elle est devenue, à mon sens, plus « politique ». Si une maison de luxe, et n’importe quelle entreprise d’ailleurs, ne responsabilise pas sa façon de produire, elle perd son « appeal » commercial. Les maisons de luxe ont toutes compris cela. Elles ont pris conscience de l’impact positif que pouvait avoir une politique de production en accord avec la préservation de la planète. C’est la même chose pour la presse. Nous sommes aussi une industrie polluante. A ELLE, nous avons décidé de supprimer le vernis de nos couvertures en mai dernier, car nous nous sommes aperçus qu’il il empêchait son recyclage complet. Depuis 2013 la totalité de notre papier est certifié PEFC et nos encres répondent aux exigences « Blue Angel ». Et la totalité des invendus est récupéré et recyclé. Être en cohérence avec les exigences de l’époque est une des clés pour résister.